Faut-il encore faire de l’Adrénaline dans l’Arrêt Cardiaque?
Le PARAMEDICS-2 Trial 1 : Petite bombe sortie dans le New England Journal of Medicine la semaine dernière, l’article sur l’adrénaline dans l’arrêt cardiaque relance le vif débat sur son intérêt au cours de la réanimation cardio-respiratoire avancée.
Tout d’abord un mot sur le contexte : depuis des études animales et humaines2-4 en 1960, l’adrénaline est le médicament de choix dans la réanimation de l’arrêt cardiaque.
Par son effet α1 agoniste elle permet d’augmenter le tonus vasomoteur pendant le massage cardiaque et ainsi d’améliorer la pression de perfusion coronarienne et ainsi d’augmenter les chances de récupération d’une activité cardiaque 5,6.
Cependant, ces dernières années, de nombreuses études observationnelles ainsi que des méta-analyses suggéraient que malgré un taux de ROSC (Return of Spontaneous Circulation) plus élevé, l’adrénaline ne modifiait en rien le pronostic neurologique des patients récupérés, voire elle l’aggravait, par rapport aux patients qui n’avaient pas eu d’adrénaline 7.
L’hypothèse physio/pharmaco pouvant expliquer ce résultat est que l’adrénaline, par ses effets β-adrénergique, augmente la consommation myocardique d’oxygène 8,9 et induit des troubles du rythme. Par ailleurs par ses effets α-agonistes elle altère la microcirculation, notamment dans le cortex cérébral, où elle majore la sévérité des lésions cérébrales ischémiques 10.
C’est alors qu’une étude multicentrique randomisée contrôlée contre placebo a vu le jour…WHAT??? C’est éthiquement possible?? Faut croire que oui.
Cette étude a donc comparé l’adrénaline en bolus d’1 mg toutes les 3-5min à un placebo (sérum salé isotonique) dans la prise en charge d’arrêts cardiaques extra-hospitaliers (tous rythmes confondus) entre décembre 2014 et octobre 2017 avec 4000 patients dans chaque groupe.
Les femmes enceintes, choc anaphylactique, personnes < 16 ans et dans certains centres les ACR d’origine traumatique sont exclus.
Le critère de jugement principal est la survie à 30 jours. Les critères de jugement secondaires sont la survie jusqu’à l’arrivée à l’hôpital, la durée de séjour en réanimation et à l’hôpital, et, ce qui nous intéresse le plus, le pronostic neurologique à 3 mois basé sur l’échelle modifiée de Rankin.

Echelle de Rankin modifiée
Voici les résultats :
Comme vous pouvez voir, le taux de ROSC est significativement plus élevé dans le groupe adrénaline, ce à quoi on pouvait s’attendre au vu de la littérature. Le taux de survie à 30 jours est également significativement plus élevé dans le groupe adrénaline.
MAIS, il n’y a pas de différence sur le pronostic neurologique!! D’ailleurs, il y avait plus de handicap lourd dans le groupe adrénaline (mRS 4 ou 5) que dans le groupe placebo.
Alors attention, ne jetez pas tout de suite vos ampoules d’adrénaline par la fenêtre, il faut comme toujours interprêter ce résultat avec certaines nuances :
- Le délai médian entre l’appel et l’administration de la première dose d’adrénaline (ou placebo) était de 21 minutes, ce qui est correct et concordant avec le timing dans d’autres études. Cependant, plusieurs études suggèrent que le timing de l’adrénaline a une importance. Plus elle est administrée rapidement, plus les chances de survie avec un bon pronostic neurologique sont élevées11,12 . Le timing de l’administration de l’adrénaline est par contre limité par le fait qu’il faille se rendre sur place pour l’administrer. Ce temps de trajet est incompressible.
- On ne peut pas extrapoler ce résultat aux arrêts cardiaques intrahospitaliers. Tout d’abord car ce sont des patients différents et surtout que, comme expliqué ci-dessus, le timing de la première administration d’adrénaline est beaucoup plus rapide.
- L’adrénaline augmente la survie à 30 jours particulièrement dans les rythmes non choquables (cf. analyse en sous groupe dans l’appendice). En effet, elle est faite plus tôt, et on sait qu’en présence d’une asystolie ou d’une dissociation électro-mécanique, l’adrénaline peut permettre de faire passer le rythme en fibrillation ventriculaire, ce qui permet de choquer et de récupérer une activité cardiaque. Cependant le risque est la récidive de la FV ou de l’asystolie, et donc d’un nouvel ACR, liée aux effets pro-arythmogène des bolus d’adrénaline. En revanche elle peut être plus délétère dans les rythmes choquables, car la cause de ces ACR est souvent d’origine cardiaque, pouvant être aggravée par l’adrénaline. Dans cette étude, la majorité des ACR (quasiment 80%) étaient des rythmes non-choquables (ce qui explique aussi le faible taux de survie à 30jours de 3% alors qu’on est plutôt à 7-8% dans la littérature). Il y a un biais de recrutement important étant donné que 615 patients étaient exclus, car ils avaient repris une activité cardiaque avant randomisation. Ces 615 patients représentent peut être des ACR sur rythme choquable qui ont été récupérés avec une défibrillation sans nécessité d’administrer de l’adrénaline.
Analyse en sous-groupe. On voit que l’augmentation de la survie à 30 jours est surtout vrai pour les rythmes non choquables
- La prise en charge des patients récupérés après arrivée à l’hôpital n’est pas contrôlée dans l’étude. Le pronostic neurologique dépend également de la prise en charge post-ROSC et des thérapies débutées pour améliorer ou au moins préserver la fonction cérébrale.
Ce n’est pas tout blanc tout noir. L’adrénaline reste pour l’instant le médicament de choix dans la réanimation de l’arrêt cardiaque. Mais dans l’avenir il est possible que ses modalités d’administration soient modifiées :
Faut-il diminuer la posologie par injection? Plusieurs études avaient montré que des bolus de plus d’ 1mg n’apportaient pas de bénéfice sur le pronostic neurologique et la survie à la sortie de l’hôpital13. Une seule étude de type avant-après a évalué des doses plus faibles et n’a pas retrouvé de différence entre des bolus d’1 mg et de 500 μg14.
Faut-il l’administrer de manière continue à posologie plus faible guidée par la pression artérielle diastolique. Les bolus répétés d’adrénaline toutes les 3-5 min peuvent également être délétères par l’ischémie-reperfusion répétée qu’ils induisent. On fait un bolus d’adrénaline qui va resserrer les artères et au bout de quelques secondes l’effet aura disparu et il faut attendre 3 min pour en refaire. Peut être qu’on ne l’administre pas de la bonne manière et que l’administrer en continu à dose moindre serait plus logique.
Faut-il maintenir l’adrénaline pour la réanimation des rythmes non choquables et insister encore plus sur la défibrillation comme première manoeuvre à faire face à un rythme choquable?
Est-il possible de la remplacer par de la noradrénaline? Etant donné qu’on cherche surtout les effets α-agonistes, on pourrait ne faire que de la noradrénaline? L’utilisation de vasopressine à la place de l’adrénaline avait montré de bons résultats dans des modèles animaux, mais pas chez l’homme15. Il manque cependant des études pour l’affirmer.
Est-on prêt a accepter de survivre d’un arrêt cardiaque mais dans un état de handicap lourd ou pas? La réponse à cette question difficile est propre à chacun.
Pour ma part, je retiens que cette étude renforce l’idée que ce qui sauve les patients c’est une prise en charge précoce avec un massage cardiaque efficace, si possible commencé par un témoin et également par une défibrillation précoce pour les rythmes choquables.
L’adrénaline a probablement encore sa place, surtout dans les rythmes non choquables, mais peut être avec une modalité d’administration différente.

Tweet qui illustre parfaitement ma conclusion. La réanimation par témoins et la défibrillation précoce sont pour l’instant les 2 seules manoeuvres qui sauvent le plus de patients dans l’ACR
Pour la traduction en français :
NNT pour l’adrénaline = 112 patients 1
NNT pour une réanimation cardiopulmonaire précoce par un témoin = 15 patients 16
NNT pour une défibrillation précoce = 5 patients 17
Tout est dit.

Le futur de la réanimation cardio-pulmonaire : le défibrillateur apporté par drone avec géolocalisation
NB: L’article est en open-access. Vous pouvez y accédez ici pour le lire en entier et voir les résultats.
Bibliographie :
- Perkins GD et al. A Randomized Trial of Epinephrine in Out-of-Hospital Cardiac Arrest. N Eng J Med 2018
- Redding JS, Pearson JW. Resuscitation from ventricular fibrillation. Drug therapy. JAMA 1968; 203:255–260.
- Redding JS, Pearson JW. Resuscitation from asphyxia. JAMA 1962; 182:283 – 286.
- ParadisNA,MartinGB,RiversEP,etal.Coronaryperfusionpressureandthe return of spontaneous circulation in human cardiopulmonary resuscitation. JAMA 1990; 263:1106–1113.
- ParadisNA,MartinGB,RosenbergJ,etal.Theeffectofstandard-andhigh- dose epinephrine on coronary perfusion pressure during prolonged cardio- pulmonary resuscitation. JAMA 1991; 265:1139–1144.
- Michael JR, Guerci AD, Koehler RC, Shi AY, Tsitlik J, Chandra N, et al. Mechanisms by which epinephrine augments cerebral and myocardial perfusion during cardiopulmonary resuscitation in dogs. Circulation 1984;69:822‐ doi: 10.1161/01.CIR.69.4.822
- Loomba RS, Nijhawan K, Aggarwal S, Arora RR. Increased return of spontaneous circulation at the expense of neurologic outcomes: Is prehospital epinephrine for out-of-hospital cardiac arrest really worth it? J Crit Care. 2015;30:1376–81.
- Ditchey RV, Lindenfeld J. Failure of epinephrine to improve the balance between myocardial oxygen supply and demand during closed-chest resuscitation in dogs. Circulation 1988; 78:382 – 389.
- Tang W, Weil MH, Sun S, et al. Epinephrine increases the severity of postresuscitation myocardial dysfunction. Circulation 1995; 92:3089– 3093.
- RistagnoG,TangW,HuangL,etal.Epinephrinereducescerebralperfusion during cardiopulmonary resuscitation. Crit Care Med 2009; 37:1408– 1415.
- Andersen LW, Kurth T, Chase M, et al. Early administration of epinephrine (adrenaline) in patients with cardiac arrest with initial shockable rhythm in hospital: propensity score matched analysis. BMJ. 2016;353:i1577.
- Tanaka H, Takyu H, Sagisaka R, et al. Favorable neurological outcomes by early epinephrine administration within 19 minutes after EMS call for out-of- hospital cardiac arrest patients. Am J Emerg Med. 2016;34:2284–90.
- Lin S, Callaway CW, Shah PS, et al. Adrenaline for out-of-hospital cardiac arrest resuscitation: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Resuscitation. 2014;85:732–40.
- Fisk CA, Olsufka M, Yin L, et al. Lower-dose epinephrine administration and out-of-hospital cardiac arrest outcomes. Resuscitation. 2018;124:43–8.
- Mion G, Rousseau J-M, Selcer D, Samama C-M. Cardiac arrest : should we consider norepinephrine instead of epinephrine? Am J Emerg Med 2014
- Hasselqvist-Ax et al. Early Cardiopulmonary Resuscitation in OUt-of-Hospital Cardiac Arrest. N Eng J Med 2015 372;24
- Kitamura et al. Public Access Defibrillation and Out-of-Hospital Cardiac Arest in Japan. N Eng J Med 2016 375;17
Médecin SAMU SMUR depuis 15 ans, la prise en charge des ACR en pré-hospitalier est très décevant sur le plan de ROSC et pronostic neurologique, le temps trajet incompressible .. surtout si au bout du département .. et en plus quand le témoin refuse de réaliser un MCE. La sensibilisation et la formation du grand public sont indispensables !!!
Au cours de ma carrière j’ai récupéré 4 ACR sans lésions neurologiques, tout simplement car les patients ont fait l’arrêt devant mon équipe SMUR …