Bêtabloquant et choc septique : et pourquoi pas?
Les bêtabloquants dans le choc septique ? Ca paraît insensé comme association de prime abord, mais en fait il y a une vraie question et donc une controverse derrière.
Ca vous est peut être déjà arrivé de vous poser cette question : patient en choc septique avec des antécédents coronariens ou de cardiopathie, qui fait des troubles du rythme ou qui est tachycarde malgré une expansion volémique adaptée et suffisante. Mais bon c’est un peu gênant comme idée et c’est contre nature de prescrire des bêtabloquants à quelqu’un qui est sous noradrénaline.
Je me suis récemment posé la question, et à la faveur d’une série d’articles ce mois-ci dans Intensive Care Medicine sur ce sujet, j’ai décidé de faire un point sur cette question.
Fonction Cardiaque et Sepsis
On sait qu’à la phase initiale du choc septique, en parallèle de la production de cytokines pro-inflammatoires, il y a une production importante de catécholamines endogènes auxquelles se surajoutent les catécholamines exogènes nécessaires à la gestion hémodynamique du patient. Cette réaction est secondaire à une activation sympathique intense en réponse à l’agression bactérienne. Cette réaction est adaptative et physiologique, mais elle peut être délétère lorsqu’elle est intense et qu’elle persiste. Les conséquences sont une augmentation de la consommation myocardique en oxygène, une tachycardie, une arythmie, une dysfonction diastolique et/ou systolique, une sidération myocardique et une apoptose des cardiomyocytes.
La dysfonction myocardique systolique est présente chez 50-60% des patients à la phase initiale du choc septique. Toutefois le débit cardiaque est maintenu au prix d’une tachycardie et d’une augmentation de la consommation en oxygène du myocarde. La dysfonction systolique se présente sous la forme d’une cardiopathie dilatée réversible. Il peut également y avoir une dysfonction diastolique qui est de mauvais pronostic.
Bêtabloquant et réaction inflammatoire : les études expérimentales
Dans des études expérimentales, on a retrouvé que l’IL-6 était liée à cette dysfonction systolique. En effet lorsqu’on ajoutait du sérum contenant de l’IL-6 à une préparation de cardiomyocytes, on observait une diminution de la force contractile. Par ailleurs dans un modèle de souris surexprimant l’IL-6 au niveau cardiaque, elles présentaient une dysfonction myocardique bien plus sévère que les souris sauvages au cours d’un sepsis.
Or la production des cytokines pro-inflammatoires est médiée par le système bêta-adrénergique. C’est donc une cible privilégiée pour moduler la réponse inflammatoire excessive au cours du sepsis.
Une étude chez le rat a montré qu’un blocage des récepteurs ß1 réduisait les taux plasmatiques de TNFa et d’IL-1ß. En revanche on a aussi remarqué que l’activation des récepteurs ß2-adrénergiques permettait également de diminuer la synthèse de cytokines pro-inflammatoires. Ceci a été confirmé dans une étude expérimentale avec utilisation de salmétérol chez des souris en choc septique. Dans d’autres études expérimentales, l’esmolol avait une influence sur l’expression des gênes impliqués dans l’inflammation.
Au cours du sepsis, le profil d’expression cytokinique dépend de la balance entre l’activité lymphocytaire CD4+ Th1 ou Th2. Seuls les lymphocytes Th1 expriment à leur surface des récepteurs ß2 et leur activation au cours du sepsis inhibe la fonction Th1 au profit d’une réponse Th2. Dans un modèle de souris septiques traitées par propanolol, l’activité Th1 était en excès et les animaux traités avaient une mortalité augmentée.
Donc la modulation ß-adrénergique permet expérimentalement d’atténuer l’orage inflammatoire au cours du choc septique soit en bloquant le système ß1, soit en activant le système ß2. Cependant, à ce jour, aucune étude n’a démontré ces effets-là chez l’humain.
Bêtabloquant et fonction cardiaque au cours du sepsis : les études cliniques
La stimulation ß-adrénergique de la phase initiale du choc septique permet d’augmenter la contractilité myocardique et la fréquence cardiaque pour répondre à la demande métabolique. Cependant dans un 2e temps, elle entraine une dysfonction myocardique avec apoptose et nécrose des cardiomyocytes. Il y a aussi une internalisation des récepteurs ß ainsi qu’une réduction de leur densité membranaire. Ce mécanisme pourrait être adaptatif/protecteur ; le coeur essaierait de diminuer sa stimulation ß-adrénergique en internalisant ses récepteurs ß.
Dans des études expérimentales, le blocage sélectif ß1-adrénergique permettait, au cours du sepsis, d’améliorer la fonction systolique, de diminuer la consommation myocardique d’oxygène et d’augmenter le volume télédiastolique du ventricule gauche.
Comme vous le voyez dans le schéma ci-dessous, malgré une diminution de l’inotropisme, le traitement bêtabloquant permet un allongement du temps de diastole et donc une augmentation du volume télédiastolique du ventricule gauche (sous réserve d’un retour veineux suffisant) qui conduit donc à une augmentation du volume d’éjection systolique, favorisé également par la diminution de la post-charge.

A : Courbe Pression-Volume avant bêtabloquant. B : Baisse de l’inotropisme suite au bêtabloquant = diminution de la pente de la courbe ESPVR2 –> diminution du VES (SV2) C : si le retour veineux est maintenu, l’allongement de la diastole suite au ralentissement de la fréquence cardiaque, permet d’augmenter le volume télédiastolique du VG et permet d’augmenter le VES (SV3)
Chez l’homme, dans une étude rétrospective, on retrouvait une amélioration de la survie au cours du choc septique chez les patients sous bêtabloquant au long cours.
Par la suite une étude pilote a été réalisée chez 25 patients en choc septique sous noradrénaline avec une FC ≥ 95/min qui recevaient une perfusion d’esmolol QSP FC < 95/min. A H+24, malgré une diminution de l’index cardiaque, le volume d’éjection systolique était préservé, les doses de noradrénaline étaient plus faibles et la microcirculation (analysée en sublingual) était améliorée. La SvO2 et le lactate étaient inchangés. C’est bien entendu une étude pilote et ces résultats peuvent en partie être juste le reflet d’une amélioration du patient à H+24 de la prise en charge du sepsis, plutôt que par l’ajout d’esmolol.
Les mêmes auteurs de l’étude précédente ont conduit une étude de phase II dans laquelle ils ont inclus 154 patients en choc septique avec une FC > 95/min et nécessité d’un support par noradrénaline malgré 24h d’optimisation hémodynamique. Il y avait un groupe contrôle et un groupe esmolol qui, en plus du traitement standard, recevait une perfusion continue d’esmolol QSP FC 80-94/min pendant toute la durée du séjour en réanimation.
Leur critère de jugement était la réduction de la fréquence cardiaque. Dans les critères secondaires on retrouvait les paramètres hémodynamiques et la mortalité à 28 jours.
Dans le groupe esmolol, en dehors d’une réduction significative de la fréquence cardiaque, il y avait une augmentation du volume d’éjection systolique, une réduction des doses de noradrénaline, une diminution de la lactatémie, une augmentation du DFG et réduction de la mortalité à 28 jours.
Ces résultats (de critères de jugement secondaire, à ne pas oublier) sont intéressants. Cependant lorsqu’on y regarde de plus près il y a pleins de critiques à faire dont les 2 plus grosses sont :
1) La moitié des patients dans les 2 groupes avaient un traitement inotrope par lévosimendan. C’est malin, car l’effet inotrope du lévosimendan ne passe pas les récepteurs ß-adrénergique. Mais surtout, pourquoi du lévosimendan? Qu’est ce que ca vient faire là? Bon, même si l’effet inotrope du lévosimendan a pu masquer l’effet inotrope négatif de l’esmolol, il n’y avait pas de différence entre les groupes.
2) La mortalité du choc septique est en général de 50%. Dans cette étude, la mortalité du groupe contrôle était de 80 %! On est en droit de s’interroger sur les causes de cette mortalité importante. Ceci a pu masquer l’effet délétère de l’esmolol dans cette population de patient.
Les autres critiques concernent le seuil arbitraire de fréquence cardiaque, l’exclusion des patients prenant des bêtabloquants au long cours et leur gestion du choc septique (ex: leurs critères de « volémie adaptée » étaient une PAPO ≥ 12 mmHg et une PVC ≥ 8 mmHg).
Au final, la seule chose que cette étude a montrée, c’est qu’ils ont une mauvaise prise en charge du choc septique.
Donc pour l’instant, on reste sur notre faim : une seule étude contrôlée randomisée mais avec des biais et une validité externe nulle, des études expérimentales encourageantes mais rien chez l’homme.
Probablement que les bêtabloquants peuvent avoir un intérêt dans le choc septique mais dans une population sélectionnée (qu’on ne connait pas encore) en contrôlant la volémie avant l’introduction du traitement. Il y a probablement des répondeurs et des non répondeurs au traitement par bêtabloquant. On ne sait pas quand introduire le traitement et comment. Pour l’instant le doute subsiste et ce traitement n’est pas recommandé dans le choc septique.
Heureusement des études s’intéressant à la question sont en cours de réalisation comme l’étude ESMOSEPSIS dont l’objectif principal est l’étude de l’index cardiaque avant et après administration d’esmolol. Les objectifs secondaires sont l’étude de la microcirculation par la NIRS et l’étude de la réponse inflammatoire par le dosage des cytokines plasmatiques.
Enfin, à l’avenir il serait également intéressant de regarder l’influence des bêtabloquants sur les effets extracardiaques de l’hyperstimulation ß-adrénergique, comme sur la régulation de la glycémie et la coagulopathie.
Bibliographie
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Super article !
Je vais me poser la question la prochaine fois !!
Merci. Je rappelle que cette stratégie thérapeutique n’est absolument pas recommandée et qu’il nous faut encore des études pour lui trouver un réel bénéfice.
Merci d’avoir fait une synthèse prudente. J’ai entendu trop d’internes s’enflammer sur c sujet ces trois dernières années.
Moi je *crois* beaucoup à la nécessité de respecter certaines adaptations comme la tachycardie ou même le passage en FA à la phase ***aigüe*** d’un sepsis. Je continuerai de lutter contre les SAP d’amiodarone dégainée trop vite, de façon symptomatico-réflexe.
De plus, je trouve toujours bien joli ces schémas dénonçant un mauvais rapport apport/conso du myocarde mais comment juger de ça en pratique sérieusement ?
En clair, on manque d’indicateur permettant de juger lorsque ce que nous observons n’est plus adapté.
Autre piste : sédater les patients avec des alpha2-agonistes pourrait ptêt permettre de faire d’une pierre deux coups 🙂