Bloc des erecteurs du rachis : une fausse promesse ?
1) C’est quoi ce bloc ?
Aussi appelé ESP Bloc ou erector spinae bloc, le bloc des erecteurs du rachis (que nous allons appeler ESP bloc) a été décrit pour la première fois en 2016 par Forero et al. pour le traitement de douleurs thoraciques d’origine neuropathique et le traitement des douleurs aigues en postopératoire de chirurgie thoracique par vidéothoracoscopie.
Il est présenté comme alternative au bloc paravertébral, qui est plus invasif et plus risqué (risque de pneumothorax, d’injection intravasculaire) et aux bloc du serratus et PECS bloc, qui ont une extension surtout antérieure. Dans l’étude de Forero, il est décrit une extension antérieure, de même topographie que le bloc paravertébral, mais sans les inconvénients. C’est comme ça que ce bloc m’a été présenté la première fois que j’en ai entendu parler.
2) Ca marche comment ?


La paroi thoracique est innervée principalement (mais pas que) par les nerfs spinaux thoraciques. Chaque nerf spinal se sépare en rameau dorsal et ventral après sa sortie du foramen intervertébral. Le rameau dorsal va rentrer a travers le foramen costotransverse dans le muscle erecteur du rachis pour donner la sensibilité du dos alors que le rameau ventral va se prolonger latéralement et antérieurement en devenant le nerf intercostal qui va donner plusieurs branches latérales et antérieures afin d’aller innerver la paroi thoracique latérale et antérieure.
Le principe est d’injecter l’anesthésique local sous le muscle érecteur du rachis au niveau du processus transverse en T5. Le but est d’aller baigner le rameau dorsal dans l’anesthésique local et de faire diffuser l’anesthésique local vers l’espace paravertébral à travers le foramen costotransverse afin d’atteindre le rameau ventral. C’est donc un bloc de diffusion dont l’objectif est l’analgésie de la paroi thoracique postérieure et antérieure.
Dans l’étude princeps, la zone d’analgésie était équivalente à celle du bloc paravertébral :

Ce qu’on remarque c’est qu’hormis l’extension antérieure (en pratique inconstante comme on va le revoir), il y a une extension importante cranio-caudale de la zone anesthésiée. Ca à l’air optimal sur le papier.
3) Comment faire le bloc
Je vais décrire ici l’approche thoracique. Le bloc des erecteurs du rachis est aussi réalisable en lombaire.
Le bloc est réalisable patient assis, sur le côté et même en ventral. Dans sa description initiale dans l’étude princeps, il est réalisé au niveau de T5, mais on peut le faire sur toute la hauteur de la colonne vertébrale.
A savoir qu’une injection de 20ml d’anesthésique local induit une extension cranio-caudale sur 8 dermatomes (extension de T1 à T11 pour une injection en T5 dans l’étude de Forero et al.
Prendre une sonde linéaire et la poser de manière longitudinale (repère vers le haut) sur la colonne vertébrale. On obtient cette image

Ensuite on se déplace latéralement et on va obtenir plusieurs plans de coupe :




Donc on a repéré nos plans de coupes : la plan de la lamina qui est trop proche de la ligne médiane, le plan des côtes qui est trop latéral. Le plan de coupe qui nous intéresse se situe entre les deux, ou on voit le processus transverse de forme carré et la plèvre pariétale tout en bas.
A partir de ce plan, on va introduire l’aiguille dans le plan en cranio–>caudal ou caudo–>cranial ca change rien. Le but est de venir au contact du processus transverse et d’injecter l’anesthésique local à ce niveau.
Si on est dans le bon plan, on va voir l’anesthésique local décoller le plan de l’erecteur du rachis. On peut alors avancer encore un peu plus l’aiguille dans l’espace de diffusion pour améliorer la qualité de la diffusion.


4) Une extension latérale et antérieure inconstante
On remarque donc que le site d’injection de l’ESP Bloc est assez proche de celui du bloc paravertébral. Les 2 sites d’injection sont séparés par le ligament costo-transverse.

EPV = Espace paravertébral
AT4 = Apophyse transverse
Croix rouge = Site d’injection du bloc erecteur du rachis
On voit qu’on est plus loin de la plèvre dans l’ESP Bloc que dans le bloc paravertébral ce qui est une sécurité. En revanche l’interposition du ligament costotransverse entre les 2 espaces limite probablement la diffusion vers l’espace paravertébral.
Une injection de 20-30 ml d’anesthésique local (souvent de la naropéine 0,375% ou 0,5% mais aussi de la bupivacaine dans les études) permet une extension cranio-caudale de 8 métamères en moyenne
Cependant l’extension latérale et antérieure par diffusion dans l’espace paravertébral afin d’atteindre le rameau ventral est inconstante.
Les études cadavériques, animales et chez l’humain avec des méthodes différentes d’evaluation de l’extension du bloc (bleu de méthylene, scanner thoracique, perte de sensibilité au froid etc..) ne s’accordent pas du tout entre elles. L’atteinte du rameau ventral semble très inconstante et on ne sait pas encore pourquoi : interposition de ligaments ? Segmentation de l’espace paravertébral ? Variabilité de l’extension selon la pression intrathoracique ?
Ce qui est sûr, c’est que ce bloc fonctionne bien pour cibler la sensibilité de l’hémothorax postérieur, cependant ce bloc n’est probablement pas un bon choix pour une chirurgie du thorax antérieur ou de l’abdomen.
Alors il y a peut être un effet volume et si on augmentait le volume injecté à 30ml ou plus on pourrait avoir une extension plus importante en antérieure, la majorité des études réalisant le bloc avec uniquement 20ml d’anesthésique local.

On voit que dans aucuns des cas, la diminution de sensibilité passe la ligne axillaire postérieure.
5) Les études en pratique


Je vous conseille de zoomer sur les tableaux
Le problème des études faites sur le sujet depuis 2016 en augmentation croissante c’est qu’elles sont très hétérogènes avec beaucoup de limites : pas d’analgésie multimodale ce qui favorise l’ESP Bloc, injections répétées en paravertébral VS une seule injection pour l’ESP Bloc etc…
Globalement on a l’impression que c’est efficace pour la chirurgie thoracique (normal les thoracotomies sont postérolatérales) et pour les fractures de côtes ainsi que la chirurgie du rachis, mais pas vraiment en chirurgie mammaire. Ceci s’explique par le fait que le thorax antérieur est aussi innervé par des nerfs issus du plexus brachial : nerfs pectoraux (latéral C5 à C7 et médial C8 à T1) qui innervent le muscle pectoral et le sein, le nerf thoracique long (C5 à C7) qui innerve la partie latérale du thorax et le serratus antérieur et le nerf thoracodorsal (C6 à C8) qui innerve le grand dorsal.
Ce sont d’ailleurs ces nerfs qui sont ciblés par le PECS Bloc et le bloc du serratus pour la chirurgie du sein.

Le PECS bloc en supplément de l’ESP Bloc a d’ailleurs déjà été décrit pour avoir une analgésie complète dans la chirurgie du sein.
On peut donc retenir :
- Bloc permettant un bloc sensitif de la paroi thoracique et lombaire postérieure
- Extension cranio-caudale très importante donc intérêt +++ pour la chirurgie du rachis
- Bonne alternative au bloc paravertébral pour la chirurgie thoracique : moins risqué et plus simple à réaliser
- Extension latérale et antérieure qui semble inconstante : possibilité de l’utiliser pour les chirurgies mammaires et abdominales mais en complément d’autres blocs (PECS Bloc, TAP Bloc, Serratus bloc etc…)
- Peut être effet volume à évaluer et attendre des études futures pour évaluation plus précise de l’efficacité et de l’extension de ce bloc.
L’article que vous lisez ayant été écrit fin 2020, il est certain que de futurs études préciserons l’extension, l’efficacité et la place de l’ESP Bloc pour l’analgésie dans différentes chirurgies.
Pour l’instant je pense qu’il est raisonnable de l’utiliser pour l’analgésie en chirurgie du rachis et chirurgie thoracique avec ou sans cathéter continu.
Pour les lecteurs qui sont arrivés au bout de l’article et qui utilisent l’ESP Bloc, dites-moi dans les commentaires comment vous l’utilisez, dans quelle indication, avec quel produit et quelle est votre experience et avis avec ce bloc.
C’est un bloc que je ne sais malheureusement pas faire mais que j’ai vu pratiquer par des collègues pour laparotomie médiane surtout urgente avec contre-indication de péridural (notamment patient sous anticoagulants ou AAP)
Bonjour nous utilisons au centre anti cancéreux de Nantes le bloc des erecteurs pour la chirurgie de reconstruction du sein (LGD, expendeur) depuis plus d’un an à la place du BPV et nous avons d’aussi bons résultats en terme d analgésie post opératoire en tout cas pour les 12 1eres heures post-op..
Intéressant! Merci du partage. Quelle posologie et quel volume injectez-vous? Il semble que l’extension antérieure soit dépendante d’un effet volume. La majorité des études sont faites avec un volume d’injectat de 20mL
Salut,
Je l’utilise fréquemment à visée analgesique pour la chirurgie du rachis avec une bonne efficacité.
En revanche, j’ai fais un essai pour une DPC: échec cuisant!
Merci pour votre rapport d’experience. L’echec pour la DPC peut être dû à la faible extension antérieure. Quel volume d’injectat utilisez vous?