Candidémie en Réanimation : ce qu’il faut savoir
J’ai récemment dû prendre en charge des patients présentants une candidémie. Mes souvenirs de cette pathologie étaient un peu flous et la dernière conférence de consensus de la SFAR sur ce sujet est ancienne (2004). J’ai donc voulu faire une mise au point, qui j’espère vous servira également.
Les candidémies sont finalement des infections fréquentes en réanimation (10-15% selon les études) mais elles passent souvent inaperçues, car les hémocultures se positivent très lentement et ne sont pas suffisamment sensibles.
La mortalité associée à cette pathologie est importante (jusqu’à 50%) et est conditionnée par la précocité du diagnostic et du traitement, qui ne sont pas aisés comme on va le voir.
Comment faire le diagnostic ?
Le diagnostic de candidémie n’est pas évident. Le gold-standard pour le diagnostic reste l’identification de Candida spp. dans un site stérile ou dans le sang. La difficulté est que les hémocultures ne reviennent positives que dans 50-70% des cas et qu’elles mettent du temps à se positiver (30h pour C. albicans, 80h pour C. glabrata).
Mais la positivité d’une seule hémoculture suffit à faire le diagnostic !
En revanche la présence de Candida spp. dans les sécrétions provenant des voies aériennes inférieures, par exemple dans un LBA, n’a aucune valeur diagnostique.
Etant donné les difficultés de diagnostic des candidémies, plusieurs scores de risques ont été développés comme l‘Index de Colonisation ou le Candida Score, qui ont une mauvaise valeur prédictive positive, mais en revanche une bonne valeur prédictive négative entre 96 et 97%.
Le Candida Score repose sur l’identification de 4 facteurs de risques indépendants de candidémies : la chirurgie à l’admission, la nutrition parentérale, le sepsis sévère et la colonisation multiple. Lorsque ce score est ≥ 3, la sensibilité est de 81 % et la spécificité de 74 %.
Dans la littérature d’autres facteurs de risques indépendants de candidémies ont été identifiés :
• Neutropénie
• Nutrition parentérale sur cathéter veineux central
• Colonisation préalable à Candida spp.
• Antibiothérapie antérieure
• Chirurgie abdominale lourde
• Insuffisance Rénale
• Corticothérapie
• Traitement anti-histaminique par anti-H2
• Gravité de la maladie
• Durée de séjour en réanimation
Autant dire que tout patient de réanimation a au moins un de ces facteurs de risques.
On a donc cherché à faire le diagnostic autrement, étant donné que les hémocultures mettent du temps à se positiver et que la survie dépend principalement de la précocité de l’instauration du traitement antifongique.
Tout d’abord on a cherché à doser le 1,3 bêta-D-glucane qui est un constituant de la paroi cellulaire de Candida spp., mais aussi d’Aspergillus spp. et d’autres champignons en tout genre. Ce qui est bien c’est que c’est un marqueur très précoce des candidémies, il est détéctable bien avant la détection de Candida spp. dans les hémocultures. En revanche il est peu spécifique, car beaucoup de médicaments/situations en réanimation donnent des faux-positifs (infection à BGN ou à gram +, traitement par Augmentin IV, hémodialyse, perfusion d’albumine etc….) et il n’y a pas de consensus sur la meilleure valeur « cut-off » pour qu’il soit positif. Par contre il peut avoir un intéret dans le suivi du traitement d’une candidémie avérée, s’il devient indétectable, c’est que probablement la candidémie est bien traitée.
Ensuite on a cherché à detecter Candida spp. par PCR en temps réél, ce qui semble assez prometteur. Bonne sensitivité et spécificité. Mais il n’y a pas pour l’instant de méthode standardisée pour cette technique.
Donc au final, il nous reste que l’évaluation des facteurs de risques avec la suspicion clinique et la positivité des hémocultures pour faire le diagnostic d’une candidémie.
Comment traiter une candidémie ?
Les antifongiques
Il y a 4 classe d’antifongiques : les polyènes (Amphotéricine B = Fungizone ), les triazolés (fluconazole = Triflucan , voriconazole = Vfend , itraconazole), les échinocandines (caspofungine = Cancidas , micafungine = Mycamine et l’anidulafungine) et enfin la flucytosine (dont je ne parlerai pas).
L’amphotéricine B n’est disponible que par voie IV. Elle a une activité fortement fongicide sur Candida spp. et Aspergillus spp.. Le désavantage majeur de cette molécule est sa néphrotoxicité, qui est un peu plus faible avec sa forme liposomale. Par ailleurs elle peut induire une cytopénie, une hypokaliémie et une hypomagnésémie. Elle interagit avec d’autres médicaments qui allongent le QT.
Les triazolés ont tous une activité fongistatiques similaire sur Candida spp., mais moins sur Candida glabrata et Candida krusei. Ce sont des inhibiteurs du cytochrome P450 à des degrés divers et interagissent donc avec d’autres médicaments qui empruntent cette voie là.
Le fluconazole a une excellente biodisponibilité orale (> 90%) et une très bonne pénétration dans le LCR et le corps vitré (> 70 % de la concentration sérique). Pour cette raison il est utilisé pour les infections méningées et oculaires à Candida spp. Par ailleurs il est éliminé par le rein et est donc indiqué pour les cystites à Candida spp. Ceci nécessite également d’adapter la posologie en cas d’insuffisance rénale.
Le voriconazole est utilisé comme alternative au fluconazole en cas de Candida spp. resistant à celui-ci. Il a également une bonne diffusion dans le LCR et le corps vitré. La forme orale a une très bonne biodisponibilité et n’est pas éliminée par le rein sous forme active. La forme intraveineuse a pour solvant la cyclodextrine, qui peut s’accumuler en cas d’insuffisance rénale et être néphrotoxique. Cette forme est donc contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale.
Les échinocandines sont fongicides sur Candida spp. en inhibant la synthèse du 1,3-bêta-glucane. Elles sont uniquement disponibles par voie intraveineuse. Elles sont actives à la fois sur les souches de Candida spp. et d’Aspergillus spp. Elles ne sont pas éliminées par le rein et peuvent donc être utilisées en cas d’insuffisance rénale. Par ailleurs elles présentent peu d’effets secondaires. Malgré leur faible métabolisme hépatique, il faut adapter la posologie de la caspofungine en cas d’insuffisance hépatique modérée à sévère. Dans ce cas-là, la seule qu’on peut utiliser sans restriction est l’anidulafungine.
Voici un tableau résumant les principaux profils de sensibilité des souches de Candida.
Voici les posologies des principaux antifongiques :
• Amphotéricine B liposomale IV = 3-5 mg/kg/j
• Fluconazole IV = 800 mg le premier jour puis 400 mg/j
• Voriconazole IV = 6mg/kg x 2/j le premier jour puis 3-4mg/kg x 2 /
• Caspofungine IV = 70 mg le premier jour puis 50 mg/j
• Micafungine IV = 100 mg/j sans dose de charge
• Anidulafungine IV = 200 mg le premier jour puis 100 mg/j
Quel antifongique utiliser dans quel cas?
La dernière conférence de consensus sur les candidoses invasives en réanimation remonte à 2004, l’algorithme du choix de l’antifongique était un peu complexe et dépendait de la fonction rénale et du statut neutropénique ou non du patient.
En 2016, l’Infectious Disease Society of America a mis à jour ses recommandations, qui simplifient un peu les choses. Je vous ai listé les principales recommandations, qui sont toutes de haut grade :
Donc en cas de candidémie avérée (=présence de levure dans au moins 1 hémoculture) :
- Patient non-neutropénique ou neutropénique avec candidémie = Echinocandine en 1ère intention
- Il est possible de rétrocéder au fluconazole après 1 semaine de traitement si la souche de Candida y est sensible, si le patient est stable et si les hémocultures commencent à se négativer.
- Le voriconazole est uniquement recommandé en cas de désescalade et par voie orale chez un patient infecté à Candida krusei.
- Il est recommandé de répéter les hémocultures tous les jours ou tous les deux jours pour objectiver la négativation de celles-ci.
- La durée de traitement est de 14 jours après la première hémoculture négative et en cas de résolution des symptômes.
- Il faut retirer tout dispositif pouvant être le siège de l’infection (type KTC, voies veineuses périphériques, cathéter artériel, chambres implantables, pacemakers…)
- Tous les patients non neutropéniques avec candidémies doivent avoir un examen ophtalmologique avec réalisation d’un fond d’oeil au cours de la première semaine après le diagnostic de candidémie –> on recherche une rétinopathie avec ou sans atteinte du corps vitré qui signe le diagnostic de candidémie et conditionne la durée de traitement (4-6 semaines) avec vitrectomie si le corps vitré est atteint.
- Pour les patients neutropéniques, cet examen est à réaliser dès amélioration de la neutropénie.
Un traitement empirique antifongique peut être débuté chez des patients graves avec une forte suspicion de candidémies, basée sur l’évaluation des facteurs de risques et des marqueurs biologiques) –> je vous renvoie par exemple à la conférence de consensus sur le traitement antifongique dans les péritonites.
La place d’une prophylaxie antifongique en réanimation n’est pas réellement démontrée.
La détection de Candida spp. dans les voies respiratoires correspond le plus souvent à une contamination. Un traitement antifongique n’est donc pas indiqué.
Une candidurie asymptomatique ne doit pas conduire à un traitement antifongique excepté chez les patients neutropéniques et les patients qui vont nécessiter une intervention urologique.
Pour les endocardites fongiques sur valve native ainsi que pour les candidémies sur dispositif d’assistance ventriculaire, la posologie des echinocandines doit être augmentée (caspofungine 150mg/j, micafungine 150mg/j, anidulafungine 200mg/j).
Pour les candidoses oro-pharyngées modérées à sévères, il est recommandé de traiter par fluconazole oral 100-200 mg/j pendant 7-14 jours.
Pour les candidoses oesophagiennes, le fluconazole est prescrit à une posologie de 200-400mg/j pour 14-21 jours.
Pour retrouver cette mise à jour des recommandation de l’Infectious Disease Society of America, cliquez ici.
Take Home Messages :
• Les candidémies sont grêvées d’une lourde mortalité en réanimation. Cette mortalité est corrélée à la précocité du diagnostic et du traitement antifongique.
• Le diagnostic de candidémie nécessite la positivité d’au moins une hémoculture à levure.
• En cas de doute sur une candidémie, il est possible de calculer le Candida Score qui a une bonne valeur prédictive négative
• La présence de Candida spp. dans les voies aériennes et dans les urines (si asymptomatique) correspond à une colonisation et ne nécessite pas de traitement.
• Le traitement de première intention des candidémies en réanimation est une échinocandine IV.
• Dès initiation du traitement, il est recommandé de faire des hémocultures tours les jours pour objectiver la négativation des hémocultures
• Le traitement est de 14 jours dès négativation des hémocultures.
• Tout patient présentant une candidémie doit avoir un avis ophtalmo avec réalisation d’un fond d’oeil afin de rechercher une rétinopathie qui nécessite un traitement prolongé.
• Toute candidémie doit motiver un avis auprès de l’équipe d’infectiologie.
Bibliographie
- Conférence de Consensus 2004 SFAR, SPILF, SRLF : Prise en Charge des Candidoses et Aspergilloses Invasives de l’Adulte
- Clinical Practice Guidelines for the Management of Candidiasis : 2016 Update by the Infectious Diseases Society of America.
- European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases guideline for the diagnosis and management of Candida diseases 2012 : non-neutropenic patients.
- De Pascale G., Tumbarello M. Fungal Infections in the ICU : Advance in treatment and diagnosis. Curr Opin Crit Care 2015 ; 21
- Matthaiou D. et al. How to treat fungal infections in ICU patients. BMC Infect Dis 2015 ; 15
Très bien cette mise à jour.