Les canules nasales à haut débit d’oxygène : Que du vent?
C’est quoi?
Les canules nasales à haut débit ou high flow nasal cannula (HFNC) sont des sortes de lunettes d’oxygène sous amphétamines: c’est de l’oxygène à haut débit (jusqu’à 60L/min dans les naseaux) humidifé et réchauffé, avec une Fi02 pouvant atteindre 100% !!!
Cette technologie a d’abord été utilisée dans les réanimations pédiatriques dans le début des années 2000, puis est arrivée chez les grands depuis quelques années.
Récemment un reportage a été réalisé, par l’équipe d’AlloDocteurs.fr, au CHU de Poitiers ou exerce le Pr FRAT, auteur de l’étude FLORALI parue dans le NEJM récemment, sur les canules nasales à haut débit d’oxygène.
Comment ca marche?
- Le haut débit de gaz provoque un wash-out de l’espace mort anatomique
- Le haut débit de gaz rentre en compétition avec le flux expiratoire induisant une pression positive « extrinsèque » dans les voies aériennes permettant également d’allonger le temps expiratoire et de favoriser les échanges gazeux au niveau de la membrane alvéolo-capillaire. Ce niveau de PEEP dépend bien sûr de la morphologie du patient et des voies aériennes. Elle nécessite également que le patient garde la bouche fermée, car même à un débit de 60L/mn la pression dans le pharynx est < 3 cmH20 si la bouche est ouverte.
- En théorie, le haut débit de gaz et l’effet PEEP permet de réduire le travail inspiratoire du patient.
- L’humidification et le réchauffement de l’air permet de préserver la fonction mucociliaire.
Comment l’utiliser?
- Choisir la taille des canules: il faut qu’elles fassent au maximum la moitié du diamètre des narines du patient afin de pouvoir laisser une soupape de pression pour éviter le barotraumatisme (à noter que les HFNC sont elles mêmes aussi dôtées d’une soupape de pression à 40cmH20)
- Connecter le réservoir d’eau à l’humidificateur
- Placer le réservoir d’eau suffisamment haut pour garantir un débit constant et important jusqu’à l’humidificateur.
- Allumer l’humidificateur, laisser chauffer et régler la température à 37°C
- Placer les canules dans les narines du patient en s’assurant qu’elles ne soient pas totalement occlusives et que le patient soit confortable
- Régler le débit de gaz par paliers progressifs pour laisser au patient le temps de s’adapter
- Régler la Fi02.
Quels sont les avantages?
Les HFNC ont le grand avantage de pouvoir délivrer une Fi02 de 100% à un patient en ventilation spontanée, alors qu’avec les masques haute concentration on dépasse rarement les 60-70%. D’autre part c’est beaucoup plus confortable pour le patient et moins contraignant pour celui-ci et pour les soignants que la bonne vieille VNI. On peut très bien laisser un patient plusieurs heures sous HFNC sans problème, alors qu’on peut difficilement faire plus de 3-4h de VNI d’affilée sans espacer les séances.
Les HFNC peuvent générer une PEEP de 7cmH20 à un débit de 60L/min sous réserve que le patient garde la bouche fermée. Ce qui veut dire qu’avec les HFNC on peut avoir le bénéfice d’une CPAP sans l’inconvénient de nécessiter un respirateur ou de devoir trouver un masque s’adaptant à la morphologie faciale du patient pour éviter les fuites. A ce sujet, je vous conseille deux revues exhaustives en open access sur les HFNC : lien ici et ici.
Que dit la littérature scientifique?
- Les HFNC et l’intubation
Lorsque les HFNC sont arrivées dans le domaine de l’anesthésie-réanimation adulte, c’était l’effervescence. Les HFNC devenait un peu l’outil magique « à tout faire ». Plusieurs études ont été réalisées afin d’évaluer la faisabilité et l’efficacité des HFNC avant, pendant et après l’intubation pour prévenir les désaturations et pour augmenter le temps d’apnée non hypoxémique.
Tout d’abord, l’étude THRIVE était l’une des premières à s’y intéresser. 25 patients prévus pour une chirurgie ORL avec des critères d’intubation difficile (BMI médian = 30, Mallampati médian = 3) ont été inclus dans cette étude. La préoxygénation a été réalisée avec l’Optiflow à 70L/min en proclive 40° puis l’Optiflow a été maintenu pendant l’apnée avec une subluxation mandibulaire. Ils ont mesuré le temps d’apnée pendant l’intubation jusqu’au branchement de la ventilation mécanique ou de la jet-ventilation ou jusqu’à la réapparition d’une ventilation spontanée. Le temps médian d’apnée non hypoxémique était de 14 min avec une variation de 5 à 65 min !!! Aucun patient n’a désaturé sous les 90% de SpO2. Cette étude était donc très prometteuse pour la gestion des intubations difficiles au bloc opératoire.
Ensuite, dans le cadre de la réanimation, une étude multicentrique contrôlée randomisée, le PREOXYFLOW Trial , a évalué les HFNC Fi02 100% à 60L/min VS le masque haute concentration (MHC) à 15L/min pour la préoxygénation de patients hypoxémiques (Pa02/Fi02 < 300) ou les HFNC étaient maintenues après l’induction et l’intubation alors que le MHC était enlevé avant l’intubation. Il n’y avait aucune différence sur la saturation artérielle en oxygène la plus basse pendant la procédure ni sur la durée de ventilation artificielle.
Logiquement on aurait dû voir moins de désaturations dans le groupe HFNC que dans le groupe MHC, car avec un MHC on a une Fi02 max de 60-70% alors qu’avec les HFNC on obtient une Fi02 de 100%. Pourquoi donc n’a-t-on pas observé ces différences? Il est possible que même une préoxygénation à Fi02 100% ne puisse prévenir une désaturation liée à un collapsus des voies aériennes. Les patients de réanimation ont tous des atéléctasies, certains plus que d’autres. La préoxygénation va servir à oxygéner les alvéoles bien ventilés mais ne peut oxygéner ou ouvrir les alvéoles collabées. Même si les HFNC à un débit de 60L/min peuvent produire une PEEP de 7 cmH20, ca ne suffit probablement pas à lever ces atéléctasies.
Cependant une autre étude de type avant-après chez des patients de réanimation médico-chirurgicale nécessitant une intubation (les patients étaient moins « graves » que dans l’étude précédente) a montré un bénéfice des HFNC en préoxygénation sur l’incidence des épisodes d’hypoxémie per-procédure VS MHC.
Donc pour l’instant, on ne sait pas trop quoi en penser. Ce qui serait alors intéressant de faire, c’est une étude comparant la VNI aux HFNC pour la préoxygénation des patients de réanimation. En effet la VNI est d’utilisation plus courante en réanimation pour la préoxygénation des patients de réanimation.
Les HFNC pourraient peut être avoir un intérêt dans les services d’acceuil des urgences ou la préoxygénation des patients en VNI est moins routinière et moins pratiquée qu’en réanimation. A ce sujet je vous donne ce lien vers une revue bien écrite sur les différentes techniques employées pour optimiser la préoxygénation. Dans cet article on peut lire que l’association d’un BAVU + de lunettes nasales à 15L permet d’atteindre des Fi02 élevées et même une petite PEEP. Sinon on peut aussi utiliser les lunettes nasales habituelles et les brancher à un débit d’oxygène de 30-45L/min (voir ici), ce qui aura le même effet que les HFNC pour la préoxygénation et l’apnée non hypoxémique sans l’avantage de l’humidification (mais pour une utilisation aussi courte, on peut s’en passer).
Concernant l’intérêt des HFNC en réanimation pendant l’intubation uniquement, le FELLOW Trial a récemment montré qu’il n’y avait pas de bénéfice à l’utilisation des HFNC dans ce contexte là : il n’y avait aucune différence significative sur la saturation artérielle en oxygène la plus basse dans un groupe de 150 patients intubés de manière conventionnelle ou avec les HFNC pendant la laryngoscopie (avec une préoxygénation par VNI dans 1/3 des cas et par BAVU dans 40% des cas).
La question de l’intérêt de les HFNC s’est aussi posée en post-extubation. Une étude a montré que les HFNC permettaient une moindre incidence de désaturation et de réintubation chez 105 patients de réanimation en post-extubation (avec un P/F inférieur ou égal à 300 en pré-extubation) VS masque venturi. Cependant une autre étude, sur des patients obèse (BMI > 30) en postopératoire de chirurgie cardiaque, n’a pas montré de bénéfice des HFNC sur l’incidence des atéléctasies radiologiques et du rapport P/F. Encore une fois, ici aussi, la place des HFNC reste à préciser.
- Les HFNC et l’insuffisance respiratoire aigue hypoxémique
La principale utilisation des HFNC est l’oxygénothérapie des patients en insuffisance respiratoire aigue. Par leur capacité à pouvoir administrer des niveaux de FiO2 plus élevés que les MHC avec un petit effet PEEP en plus et par leur meilleure tolérance que les masques de VNI, les HFNC sont de plus en plus utilisées dans cette indication là. Une récente étude parue dans le NEJM, la « FLORALI Study » a montré que dans une population de patients en insuffisance respiratoire aigue non hypercapnique avec P/F < 300, les HFNC réduisaient significativement la mortalité à 90 jours (un critère secondaire) VS le MHC ou la VNI. Par contre il n’y avait aucune différence sur le critère de jugement principal qui était la proportion de patients intubés à J28.
Cependant , dans une analyse post-hoc parmi les 238 patients présentant une hypoxémie initiale sévère (P/F < 200) le taux d’intubation était significativement plus bas dans le groupe HFNC comparé aux deux autres groupes.
Plusieurs commentaires peuvent être fait sur cette étude. Tout d’abord les patients inclus étaient extrêmement sélectionnés. Les crtières d’exclusion étaient nombreux: insuffisance respiratoire chronique, asthme aigu grave, oedème aigu pulmonaire, patients hypercapniques (PaCO2 > 45 mmHg), neutropénie sévère, utilisation de vasopresseurs … Au final les patients inclus qui avaient donc une insuffisance respiratoire aigue de novo non hypercapnique ne représentaient qu’une faible proportion de patients hospitalisés en réanimation pour insuffisance respiratoire aigue. En effet sur 2500 patients en insuffisance respiratoire aigue hypoxémique, seuls 525 ont été randomisés.
Ensuite on peut critiquer le choix de les comparer à la VNI dans cette indication là. On sait très bien que la VNI n’est pas une thérapeutique de choix dans les insuffisances respiratoires aigues hypoxémiques non hypercapniques (type pneumopathie grave et SDRA modéré à sévère), car elle masque la dégradation de l’état respiratoire du patient et retarde le délai d’intubation, ce qui augmente la mortalité et la durée de ventilation (voire une belle revue par Brochard et al sur le sujet). En effet la VNI est physiopathologiquement avantageuse dans les insuffisances respiratoire aigue chez des patients ayant une pathologie pulmonaire chronique ou une pathologie cardiaque décompensée, mais n’est que peu bénéfique pour les patients hypoxémiques non hypercapniques (si vous leur enlevez la VNI, ils reviennent à leur état pré-VNI). En plus on remarque également qu’il y avait beaucoup de crossover entre les 2 groupes (des patients du groupe HFNC ont eu de la VNI avant l’intubation et inversement…)
Enfin l’unique résultat positif de l’étude est sur un critère de jugement secondaire qui est la mortalité à 90 jours. Comme dans toute étude, il faut analyser ce résultat avec beaucoup de réserve sachant que c’est un critère secondaire et que cette étude n’était pas construite initialement pour démontrer une différence sur la mortalité.
Donc au final, les HFNC peuvent être une bonne alternative au MHC dans les insuffisances respiratoires aigues hypoxemiques, sans supériorité démontrée pour l’instant. Il serait alors intéressant de comparer les HFNC à la VNI dans les insuffisances respiratoires aigues hypoxemiques et hypercapniques ou les HFNC, de part leur effet PEEP et leur meilleure tolérance, pourraient éventuellement s’avérer utile dans certaines situations.
Take Home Messages
- Les HFNC n’ont probablement pas d’intéret en réanimation pour la préoxygénation ou l’apnée non hypoxémique pendant l’intubation sous réserve que la préoxygénation se fasse de manière correcte en VNI ou au BAVU associée à une position optimale et à une intubation rapide.
- Il peut cependant y avoir un intérêt pour les intubations difficiles prévues en chirurgie réglée. En effet ce ne sont pas les mêmes patients qu’en réanimation, leur réservoir alvéolaire d’oxygène est plus important que les patients de réanimation, ils peuvent ainsi peut être plus bénéficier des HFNC.
- On peut éventuellement les utiliser en post-extubation immédiate chez des patients hypoxémiques.
- Dans les insuffisance respiratoires aigues hypoxémiques non hypercapniques de novo, il n’y a pas pour l’instant de preuves formelles de leur supériorité par rapport au MHC, excepté chez les patients les plus hypoxémiques ou les HFNC diminuent significativement le risque d’intubation. En revanche elles sont plus confortables pour les patients que le MHC (possibilité de manger, boire, faire la kiné respi…)
- Il faut attendre la réalisation d’études contrôlées randomisées pour préciser leur intérêt dans les insuffisances respiratoires aigue hypoxémique et hypercapnique. Mais on peut probablement les utiliser en alternative à la VNI chez les patients qui ne la tolère pas.
Bibliographie
Preoxygenation and apneic oxygenation using nasal cannula. Pulmcrit
Spoletini et al. Heated Humidified High-Flow Nasal Oxygen in Adults. Chest 2015, 148 ; 4
Nishimura et al. High-Flow nasal cannula oxygen therapy in adults. J Intensive Care 2015, 3 ; 1
Merci pour cette belle revue. Vu que vous êtes en chirurgie cardiaque, quelle est votre pratique de l’optiflow dans ce contexte ?
On l’utilise très peu dans notre service de réanimation cardiaque, d’ou mon intérêt de faire une revue sur cet outil.
On l’utilise surtout pour les patients hypoxémiques qui ont un terrain d’insuffisance respiratoire chronique. Par exemple le patient qui a des grosses atélectasies ou qui a des épanchements pleuraux bilatéraux avec une réserve respiratoire faible.
Cependant dans une réa poly ou je remplace parfois, ils l’utilisent énormément et à toutes les sauces: hypoxémie isolée, en post-extubation, chez les patients BPCO entre les séances de VNI etc….. C’est vrai que les patients ont l’air confortable sous HFNC, ils peuvent manger, prendre leurs médocs, boire etc….
D’ou ma question d’évaluer les HFNC dans un contexte plus large de patients de réanimation, notamment les patients BPCO, obèses ou qui ont un SAOS.
Très bonne idée , mais physiopathologiquement parlant, n’est ce pas dangereux de l’utiliser chez des patients hypercapniques? Mais je crois que des études sont en cours à ce sujet;
Peut être que sa place s’intègre plus dans des SAUV où les conditions de réalisation de la VNI ne peuvent pas être réunies (beaucoup de patients , charge pour les ide importantes,….)
Je ne sais pas si cela ne va pas se faire en post op de chirurgie thoracique ,avec toujours la crainte de faire péter les sutures sous VNI….
Pourquoi ca serait dangereux chez les patients hypercapniques? C’est un peu le même principe que la CPAP et la VNI de toute manière.
Sinon oui, probablement utile aussi aux urgences en « remplacement » de la VNI, mais attention: le risque est que l’utilisation des HFNC devienne trop libérale et qu’on mette tous les patients sous HFNC sans les surveiller correctement….
Pour la chirurgie thoracique, pareil je vois pas d’ou viens cette crainte de faire pêter les sutures. Quand on ventile un patient en bipulmonaire les pressions d’insufflation sont parfois plus importantes que sous VNI et on voit rarement que ca « pête » les sutures. Sous reserve qu’on surveille la pression d’insufflation, il n’y a pas de problème.
bonjour, merci pour tous ces supers articles clairs et très instructifs !!!
J’avais une question concernant l’optiflow comme j’ai été concernée par ça cette nuit en garde !! y a t il un moyen d’administrer du NO avec l’OPTIFLOW ou c’est pas du tout encore d’actualité ? C’était une patiente à qui on ne pouvait enlever l’OPTIFLOW (débit 50L/min et FiO2 = 100%) en attente d’une greffe coeur poumons.
merci d’avance !
Salut,
C’est une bonne question, je ne connais aucune étude ayant évalué l’utilisation de NO avec l’Optiflow. Cependant je pense que c’est pour une bonne raison, car à la différence de la ventilation contrôlée on ne peut pas contrôler l’administration de NO (on peut pas contrôler et calculer la fraction inspirée et la fraction expirée).
En revanche, vu que le patient a l’Optiflow, il peut prendre des comprimé et peut donc avaler du Revatio (Sildenafil) qui agit sur l’HTAP comme le NO.
Merci pour cet article! Actuellement en stage de soins infirmiers en néonatalogie, ça me permet de comprendre des choses sur l’Optiflow.