La Dialyse en Réanimation : précoce ou tardive ?
L’insuffisance rénale aigue est une pathologie fréquemment rencontrée en réanimation, grevée d’une mortalité importante. Le traitement repose sur la dialyse. Que ce soit de l’hémofiltration ou de l’hémodialyse, ces 2 techniques sont équivalentes (cf RFE 2014).
Les critères d’urgence pour l’initiation d’une dialyse sont bien définis :
- Hyperkaliémie > 6,5 mmol/L ou hyperkaliémie symptomatique
- Acidose métabolique sévère (les cut-off varient : pH < 7,0 ou < 7,10)
- Oedème pulmonaire réfractaire au traitement médical
- Syndrome de lyse tumorale
- Complications urémiques (péricardites, neuropathie, coma/convulsions, hémorragie digestive…)
- Toxique dialysable
En fonction des équipes et des habitudes, on retrouvent également d’autres indications :
- Oligoanurie pendant plus de 12h
- Urée > 30 mmol/L
- Hyperthermie (vu qu’on peut régler la température du sang, on peut le refroidir!)
En revanche il n’y a pas encore de consensus sur le délai d’initiation de la dialyse dans l’insuffisance rénale aigue en dehors de ces critères d’urgence: faut-il la commencer tôt ou la commencer tard?
Récemment ont été publiées 2 études qui ont tenté de répondre à cette question :
L’AKIKI study (dans le NEJM) et la ELAIN study (dans le JAMA). Problème : elles se contredisent.
Voici un résumé de ces études. A la fin de l’article je vais tenter d’en tirer une conclusion pour notre pratique quotidienne.

Rappel pour la suite de l’article : Classification KDIGO (il faut prendre le critère le plus péjoratif)
Je vous invite à participer à cette réflexion dans les commentaires en bas de la page : quels sont vos critères pour débuter une dialyse? Etes vous plus pour une dialyse précoce ou une dialyse tardive? Faites vous une différence en fonction du type de patients? Quid des patients insuffisants rénaux chroniques qui présente une dégradation aigue de leur fonction rénale?
AKIKI Study
AKIKI est une étude française multicentrique (31 centres) randomisée sans aveugle, parue dans le NEJM, qui a comparé la dialyse précoce VS dialyse tardive dans l’insuffisance rénale aigue. Les patients inclus (620 patients) étaient des patients de réanimation présentant une Acute Kidney Injury (AKI) sévère = stade 3 KDIGO et qui bénéficiaient d’une ventilation mécanique et/ou d’une administration de vasopresseurs (noradrénaline ou adrénaline).
Les patients étaient exclus s’ils avaient une insuffisance rénale chronique (Cl Creat < 30 ml/min) avant l’admission en réanimation et s’ils avaient des critères de dialyse en urgence (Urée > 112 mg/dL, Hyperkaliemie > 6 mmol/L, Acidose avec pH < 7,15, OAP avec hypoxémie nécessitant > 5L O2 ou FiO2 > 50 %).
C’étaient des « vrais » patients de réanimation : Le score SOFA moyen à l’admission était de 11, 85 % des patients étaient ventilés mécaniquement, 85 % avaient des vasopresseurs, 65 % étaient en choc septique.
Ils étaient ensuite randomisés en 2 groupes=
Dialyse précoce = dans les 6h après le diagnostic d’AKI KDIGO 3
Dialyse tardive = dialyse si critères d’urgence (cf. ci dessus) et si anurie/oligurie pendant > 72h après randomisation.
Le critère de jugement principal était la survie à 60 jours = AUCUNE différence entre dialyse précoce et dialyse tardive.
Il n’y avait pas non plus de différence concernant d’autres critères secondaires comme la mortalité à 28 jours, la durée d’hospitalisation en réanimation et à l’hôpital, et le nombre de patients encore dialysés à 28 jours et 60 jours.
En revanche les patients du groupe dialyse précoce avaient significativement plus d’infections liées aux cathéters centraux (10 % VS 5%, p =0,03)
Les limites de cette étude sont:
- Plus de 50 % des patients ont eu de l’hémodialyse intermittente, ce qui peut limiter la validité externe de cette étude, d’autant plus que 85 % des patients étaient sous vasopresseurs. Ces patients étaient-ils vraiment graves et hémodynamiquement instables?
- 50 % des patients dans le groupe dialyse tardive n’ont pas reçu de dialyse.
- La définition de dialyse « précoce » à un stade KDIGO 3 est discutable. On ne peut pas conclure pour les AKI KDIGO 2.
ELAIN Study
L’ELAIN study est une étude pilote allemande, monocentrique. Les patients inclus devaient présenter une AKI KDIGO 2, un NGAL plasmatique > 150 ng/dL, et au moins une de ces conditions :
- Sepsis sévère
- Catécholamines (noradrénaline ou adrénaline) > 0,1 µg/kg/min
- Surcharge hydro-sodée réfractaure (P/F < 300, aggravation de l’oedème pulmonaire, un bilan entrées/sorties positif > 10 % du poids)
- L’aggravation d’une défaillance d’organe autre que rénale
Les patients étaient exclus s’ils avaient déja une insuffisance rénale chronique (DFG < 30 ml/min) ou s’ils avaient déjà été dialysés.
Ils étaient ensuite randomisés en 2 groupes:
Dialyse précoce = dialyse dans les 8h après diagnostic d’AKI KDIGO 2
Dialyse tardive = dialyse si critères d’urgence (cf. ci dessus) ou dans les 12h si AKI KDIGO 3
La technique de dialyse était standardisée = Hémodiafiltration au citrate. Arrêt de la dialyse si diurèse > 400ml/24h sans diurétiques, > 2100ml/24h avec diurétiques ou si clairance créat > 20ml/min.
Le critère de jugement principal était la mortalité (toute cause) à 90 jours = REDUCTION SIGNIFICATIVE dans le groupe dialyse précoce 39 % VS le groupe dialyse tardive 55 %.
Pour le groupe dialyse précoce on notait également (critères secondaires) une réduction de la durée de dialyse, de la durée de ventilation méchanique, de la durée d’hospitalisation et une meilleure récupération de la fonction rénale à 90 jours que dans le groupe dialyse tardive.
Dans cette étude, 91 % des patients du groupe dialyse tardive ont été dialysés et tous les patients ont été suivis jusqu’au bout.
Les limites de cette étude sont:
- Etude monocentrique = pas de validité externe
- 93 % des patients étaient chirurgicaux dont 47 % étaient des patients de chirurgie cardiaque = pas de validité externe pour d’autres populations de patients, par exemple en réanimation médicale ou polyvalente.
Au final, c’est quoi la réponse? Dois-je changer ma pratique?
Au final… il n’y a pas vraiment de réponse. Ces deux études ne sont pas comparables
- Tout d’abord elles n’utilisent pas le même critère pour définir une dialyse précoce : dans AKIKI, la dialyse précoce est définie par une dialyse dans les 6h après le diagnostic d’AKI KDIGO 3, alors que dans ELAIN, la dialyse précoce est définie par une dialyse dans les 8H après diagnostic d’AKI KDIGO 2. En réalité AKIKI compare dialyse précoce VS tardive et ELAIN compare dialyse très précoce VS précoce. Le groupe contrôle d’ELAIN était en fait très similaire au groupe interventionnel d’AKIKI. Tout dépend du point de vue qu’on a sur la définition de dialyse précoce et tardive.
- Ensuite, les patients ne sont pas du tout les mêmes. Dans AKIKI ce sont des patients « médicaux » graves alors que dans ELAIN ce sont des patients « chirurgicaux ». On sait très bien que l’insuffisance rénale aigue est multifactorielle et que le contexte clinique influence beaucoup la gravité et la progression de l’insuffisance rénale. Chez les patients chirurgicaux, l’insuffisance rénale aigue peut très bien être « juste » transitoire, de type fonctionnelle liée à l’hypovolémie peropératoire et à l’antidiurèse per et postopératoire qu’on observe souvent en postopératoire de chirurgie cardiaque secondaire au stress chirurgical et à la sécretion de vasopressine, qui réabsorbe l’eau et induit ainsi une oligurie. Chez les patients « médicaux » l’insuffisance rénale aigue est plus souvent de type organique par agression toxinique et ischémique.
- Les techniques de dialyse ne sont pas comparables. Dans AKIKI, plus de 50 % des patients ont eu de l’hémodialyse intermittente, alors que dans ELAIN, on utilisait uniquement l’hémodiafiltration au citrate (technique en continu).
- Ces 2 études ont un postulat de départ différent. Dans AKIKI, l’hypothèse de départ est que la dialyse très tardive pourrait améliorer la survie. Dans ELAIN, l’hypothèse est plutôt que la dialyse très précoce pourrait améliorer la survie. Donc dès le départ ces 2 études ne posent pas la même question.
Ces 2 études apportent une réponse à une question différente. Si on veut essayer de faire un résumer de tout ça :
AKIKI : chez des patients graves de réanimation, il n’y a probablement pas de différence entre débuter une dialyse dès le stade KDIGO 3 ou si uniquement critères d’urgence et/ou non amélioration de la diurèse après les autres thérapies entreprises (correction de l’hypovolémie, de l’hypotension, protection rénale, diminution de la congestion veineuse…)
ELAIN : Pour des patients chirurgicaux graves en réanimation, notamment après chirurgie cardiaque, il peut y avoir un intérêt à commencer une dialyse précoce par hémofiltration dès le stade KDIGO 2 en prenant en compte les autres facteurs de risques pouvant favoriser la dégradation de la fonction rénale. –> résultat qui nécessite d’être confirmée par une étude multicentrique!!
Pour les patients insuffisants rénaux chroniques qui présentent une insuffisance rénale aigue = pas de réponse
Ce que j’en tire personnellement : Il faut continuer à utiliser les critères cliniques d’urgence pour débuter une dialyse. Il faut utiliser toutes les méthodes adjuvantes de protection rénale (correction de l’hypovolémie et de l’hypotension, améliorer le VES/le débit cardiaque, éviter les médicaments néphrotoxiques, limiter la congestion veineuse = effet de la PEEP) et surveiller étroitement la progression de l’insuffisance rénale. En parallèle il faut prendre en compte les différents facteurs de risques qui peuvent précipiter la dégradation de la fonction rénale et nous orienter vers une dialyse précoce.
Comme le résume bien l’auteur d’ELAIN :
« Débuter précocement une dialyse peut être bénéfique en évitant l’hypervolémie, en éliminant les toxines et en corrigeant l’équilibre acido-basique. En revanche, la dialyse précoce peut exposer inutilement les patients qui n’en auront finalement pas besoin à des effets secondaires graves. »
–> Dialyser précocement est peut être bénéfique pour les patient qui vont en avoir besoin. En revanche, il ne faut pas dialyser inutilement les patients qui n’auront pas besoin de dialyse, avec le risque de les exposer à des effets secondaires graves. Duh! Sans blagues….
DONC, il faudrait pouvoir prédire quels sont les patients qui seront dialysés et quels sont ceux qui vont récupérer une fonction rénale correcte sans dialyse. Pour ça, les marqueurs biologiques ne sont pour l’instant pas assez performants. Ca promet encore de nombreuses études à venir!
A ce sujet, comme le précise très pertinemment l’auteur du premier commentaire, IDEAL-ICU, une étude multicentrique française est en cours sur la dialyse précoce VS tardive dans la phase initiale du choc septique. Dans cette étude les patients sont inclus lorsqu’ils atteignent le stade « Failure » de la classification RIFLE dans un contexte de choc septique. Ils sont alors randomisés soit en dialyse précoce (maximum 12h après randomisation) ou dialyse tardive (48h-60h après randomisation). Le critère principal est la survie à 90 jours. Vivement les résultats!
En attendant ces études, voici un algorithme que j’ai trouvé, qui me semble pas mal et qui insiste bien sur l’appréciation du risque de progression de l’insuffisance rénale aigue.

Bagshaw et al. A proposed algorithm for the initiation of renal replacement therapy in adult critically ill patients. Crit Care Med 2009 ; 13 (6)
Et ici une vidéo qui résume bien la controverse mise en lumière par ces deux études
Super article boss ! Bientôt plus d’infos avec ideal-icu https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT01682590
#chauvinisme
Article très interessant je veux plus d’information car ça m’interesse comme sujet de these