La dysfonction diastolique, son évaluation et son traitement
Quand on reçoit un patient en consultation d’anesthésie ou qu’on prend en charge un patient en réanimation avec un résultat d’échographie cardiaque, la première chose qu’on regarde toujours c’est la fraction d’éjection : est-elle conservée ou pas. Souvent on s’arrête là, peut être que le cardiologue a fait une évaluation des cavités droites qui peut nous intéresser pour le périopératoire.
Mais il y a un élement du compte rendu de l’échographie cardiaque auquel on ne fait pas vraiment attention ne sachant pas trop quoi en faire ou qu’on oublie tout simplement de regarder: la fonction diastolique.
Pourquoi c’est important d’évaluer la fonction diastolique?
On sait maintenant qu’entre 30% et 50% des patients insuffisants cardiaques en préopératoire ont une fraction d’éjection conservée avec donc une dysfonction diastolique. Plusieurs études ont montré que la mortalité des patients atteints de dysfonction diastoliques était quasiment la même que celle des patients atteints de dysfonction systolique (25% à 3 ans pour dysfonction diastolique VS 30% à 3 ans pour dysfonction systolique). Par ailleurs des études ont montré que la dysfonction diastolique était un facteur prédictif indépendant de morbi-mortalité après chirurgie de pontage coronarien. D’autre part en chirurgie vasculaire majeure et même en chirurgie à risque cardio-vasculaire intermédiaire ou bas, la dysfonction diastolique isolée asymptomatique est associée au risque de complications cardiovasculaires postopératoires et à la morbi-mortalité à 30 jours. On a même pu trouver un lien entre dysfonction diastolique et ACFA de novo en périopératoire, car la dysfonction diastolique provoque une modification de la structure et de la fonction de l’oreillette gauche. D’ailleurs, en chirurgie cardiaque, plus la dysfonction diastolique est importante, plus le risque d’ACFA postopératoire augmente.
Ces patients qui présentent une altération de la fonction diastolique sont à haut risque de décompensation en périopératoire. Leur gestion périopératoire nécessite de connaître la physiopathologie de la dysfonction diastolique afin d’optimiser leur prise en charge.
Enfin il faut bien faire la différence entre l’insuffisance cardiaque diastolique et la dysfonction diastolique qui n’ont pas la même définition: la dysfonction diastolique est une anomalie de la relaxation progressant vers une anomalie de la compliance avec augmentation des pressions de remplissage. Son diagnostic est échographique chez un patient asymptomatique. L’insuffisance cardiaque diastolique correspond à la présence de symptômes d’insuffisance cardiaque congestive associée à une fonction systolique préservée et des signes d’anomalie de la relaxation, du remplissage ou de la distensibilité ventriculaire gauche.
J’espère vous avoir convaincu qu’il est important de connaître la fonction diastolique de vos patients cardiopathes chroniques qui risque d’être décompensée en périopératoire (Hypovolémie, HTA, Ischémie, Anémie, ACFA…) C’est donc un élément important à prendre en compte dans notre pratique en anesthésie comme en réanimation
La physiologie de la diastole
La diastole correspond à la période pendant laquelle le coeur se remplit, après la période de l’éjection. Elle est divisée en 4 parties:
- Relaxation isovolumique
- Remplissage rapide
- La diastasis ou remplissage lent
- La contraction atriale
Physiologiquement la relaxation isovolumique commence pendant la fin de la systole, pendant que la valve mitrale est toujours fermée. Pendant cette relaxation isovolumique la pression dans le VG diminue avec une modification de sa géométrie mais sans augmentation du volume. Le VG retourne à sa contraction initiale, avant la contraction. Elle précède le remplissage rapide du VG qui est determiné par le gradient OG-VG (=la précharge) et la relaxation isovolumique. La relaxation isovolumique est un processus actif consommant de l’énergie. En effet, au niveau cellulaire, cette relaxation isovolumique correspond à la dissociation des ponts actine-myosine qui commence dès la phase de systole. Cette dissociation est activée par la baisse de la concentration intracellulaire de calcium, qui est la conséquence de la recpature du calcium par la Ca2+-ATPase du réticulum sarcoplasmique qu’on appelle SERCA2a. Cette SERCA2a possède 2 sites de liaison pour le calcium + 1 site de liaison pour l’ATP + 1 site de liaison pour le phospholamban. Ce dernier est un modulateur de SERCA2a limitant ainsi la vitesse de recaptage du Ca2+ et donc limitant la relaxation, lorsqu’il n’est pas phosphorylé. Par contre lorsqu’il est phosphorylé, il augmente la vitesse de recaptage du Ca2+ et donc favorise la relaxation. Sa phosphorylation passe par l’intermédiaire de la protéine kinase A qui est activée par la stimulation des récépteurs b1-adrénergiques. C’est pourquoi la dobutamine est lusitrope-positive = elle améliore la relaxation.
La relaxation isovolumique et le remplissage rapide compte pour presque 70% du remplissage du ventricule gauche. La relaxation isovolumique et le remplissage rapide correspondent à la première phase de la diastole qu’on appelle relaxation. On comprend donc que cette relaxation est un phénomène actif et dépend des conditions de charge en amont (gradient OG-VG) = plus elles sont élevées, plus le remplissage du ventricule gauche sera rapide.
Lorsque la relaxation s’achève, on passe dans la 2e phase de la diastole. Cette 2e phase va faire appel aux capacités de distension passive du ventricule gauche, autrement dit, la compliance du ventricule gauche (dP/dT). Elle comprend le remplissage lent du ventricule gauche puis la contraction auriculaire qui va expulser le volume restant de l’oreillette gauche vers le ventricule gauche. On dit qu’en général la contraction auriculaire représente 30% du remplissage du VG (qui peut aller jusqu’à 60% dans toutes les pathologies qui limitent le remplissage rapide), ce qui explique qu’en cas de perte de la systole auriculaire (=ACFA) ce soit parfois mal tolérée hémodynamiquement. En cas de trouble de la compliance, la pression dans le VG va augmenter anormalement et le remplissage du VG va surtout dépendre de la contraction auriculaire, qui va en quelque sorte « forcer » pour remplir le VG.
Comment évalue-t-on la fonction diastolique?
Le Doppler pulsé mitral en coupe 4 cavités
La première étape de l’étude de la fonction diastolique est l’évaluation du doppler mitral. Pour ce faire il faut se placer en coupe 4 cavités, et dégager la valve mitrale. Pour un rappel sur les différentes coupes en échographie cardiaque transthoracique, cliquez ici.
Avec le doppler couleur on regarde la direction du sens du flux transmitral pour pouvoir ensuite aller placer son repère (le volume de mesure) dans le flux transmitral et on appuie sur PW (Pulse Wave Doppler) pour avoir le doppler pulsé mitral. Si on est pas parfaitement dans l’alignement du flux transmitral on risque de sous-estimer le doppler pulsé mitral (sauf si on fait le rapport onde E/onde A ou on s’affranchit de l’angle de mesure).
Une fois qu’on a ce doppler pulsé mitral, on va s’intéresser à 3 éléments:
- La vitesse de l’onde E et la vitesse de l’onde A / Le Profil Mitral
L’onde E correspond au remplissage rapide du ventricule gauche. La vitesse de l’onde E dépend du gradient de pression entre l’oreillette gauche et le ventricule gauche juste après l’ouverture de la valve mitrale.
L’onde A quant à elle, suit l’onde E et correspond à la contraction auriculaire. Donc plus elle est importante (vitesse onde A élevée), plus la contraction auriculaire va être importante et va jouer un rôle dans le remplissage du VG.
Une fois ces 2 vitesses mesurées, on va établir le profil mitral : c’est le rapport de la vitesse de l’onde E sur la vitesse de l’onde A (E/A). Comme on a vu que physiologiquement le remplissage rapide (onde E) représente 70% du remplissage du VG et la contraction auriculaire (onde A) en représente 30%, le rapport E/A est de 1 à 2 chez les sujets normaux.
Les limites de l’interprétation du profil mitral: le profil mitral est irréalisable et ininterprétable en cas d’absence de systole auriculaire (ACFA, Flutter…). En effet s’il n’y a pas de systole auriculaire, il n’y a pas d’onde A. On peut donc uniquement mesurer la vitesse de l’onde E et le TDE. Par ailleurs les mesures des vitesses du doppler mitral ne sont pas fiables en cas de sténose de la valve mitrale.
- Le TDE = Temps de Décélération de l’onde E
L’autre paramètre à évaluer est le temps de décélération de l’onde E. Ce dernier dépend de la vitesse de la relaxation et donc de sa durée. Il se mesure en partant de la pointe du « triangle » de l’onde E jusqu’à sa base. Chez les sujets normaux il est habituellement de 190 +/- 20 ms.
- Le DTI (Doppler Tissue Imaging) = Doppler Tissulaire à l’anneau mitral
Le doppler tissulaire de l’anneau mitral permet de mesurer la vitesse de l’onde Ea ou E’ qui reflète l’allongement des fibres dans le plan longitudinal = donc le déplacement de l’anneau mitral vers le VG en protodiastole. L’onde Ea est un indice de la relaxation qui est indépendant de la précharge lorsque la relaxation est anormale.
L’intérêt est de pouvoir faire la distinction entre un remplissage normal ou pseudo-normal ou restrictif. Il permet aussi d’évaluer les pressions de remplissage du ventricule gauche en complément de l’évaluation du profil mitral et surtout aussi lorsque le profil mitral E/A n’est pas réalisable (ACFA)
Pour faire cette mesure, il faut placer le repère sur la partie latérale ou médiale de l’anneau mitral et d’appuyer sur TDI.
Vous obtiendrez un tracé comme ci-dessous. L’onde Ea ou E’ est la première « onde » négative (vers le bas). Sa valeur normale est > 15 cm/s sur la partie latérale de l’anneau mitral et > 10 cm/s sur la partie médiale de l’anneau mitral.. Lorsqu’elle est < 8 cm/s , elle témoigne d’une dysfonction diastolique du VG
On calcul alors le rapport E/Ea (vitesse de l’onde E en doppler pulsé mitral sur la vitesse de l’onde Ea en DTI mitral) qui va permettre d’évaluer la précharge. En effet l’onde E dépend à la fois de la précharge (gradient OG-VG) et de la relaxation et l’onde Ea dépend uniquement de la relaxation. Mathématiquement si on divise les deux (préchargexrelaxation/relaxation) ce rapport E/Ea nous donne une évaluation de la précharge (valable chez patient ventilé):
- E/Ea > 13-15 = élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche (équivaut à PAPO > 15mmHg)
- E/Ea < 8 = pressions de remplissage du ventricule gauche basses.
A savoir qu’en réanimation, la mesure de la vitesse de l’onde Ea sera la mesure la plus reproductible. En effet la vitesse de l’onde E dépend à la fois de la relaxation et de la précharge. Cette vitesse peut donc énormément changer en fonction des conditions de charge qui changent souvent très rapidement en réanimation (expansion volémique, diurétiques, hémofiltration/hémodialyse). Par contre l’onde Ea est uniquement dépendante de la relaxation. Si vous la mesurez avant et après une séance d’hémodialyse, sa vitesse sera la même, alors que la vitesse de l’onde E aura sensiblement diminuée lié à une diminution des conditions de charge.
Limites: la mesure de l’onde Ea n’est pas fiable en présence de trouble de la cinétique segmentaire de la partie du VG sur laquelle on effectue la mesure.
- Le Doppler Veineux Pulmonaire
Pour réaliser les mesures on se met en coupe apicale 4 cavités et on repère la veine pulmonaire supérieure droite en doppler couleur (flux orange longeant le septum interauriculaire). On place alors le repère à 1 cm avant l’abouchement de la veine pulmonaire et on effecture un doppler pulsé.
On va donc obtenir un spectre avec une onde S systolique parfois bifide (contemporaine de la systole ventriculaire), une onde D diastolique et une onde inverse contemporaine de la contraction auriculaire (Ap).
On mesure alors les vitesses de l’onde S et de l’onde D et on calcule le rapport S/D. Un rapport S/D < 1 en rythme sinusal correspond à une élévation des pressions de remplissage du ventricule gauche en cas de dysfonction systolique.
Ensuite on mesure la durée de l’onde Ap, si elle est de 20ms supérieure à la durée de l’onde A mitrale (en doppler pulsé mitral), alors elle évoque une élévation des pressions de remplissage du VG quelque soit la fonction systolique.
Les stades évolutifs de la dysfonction diastolique du ventricule gauche
On a classifié la dysfonction diastolique en 3 stades, selon l’aspect du profil mitral :
- Profil mitral Type 1 = Trouble de la relaxation
Ici c’est le premier stade de l’anomalie de la relaxation du ventricule gauche. Etant donné qu’il y a une anomalie de la relaxation (qui normalement représente 70% du remplissage du VG), le remplissage ventriculaire lié à la systole auriculaire devient prépondérant (donc onde A > onde E) même si les pressions de remplissage restent en général peu élevées sauf en cas de cardiomyopathie hypertrophique (HVG). Le temps de décélération de l’onde E est allongé, reflétant l’anomalie de la relaxation.
- Profil mitral Type 2 = Profil « Pseudonormal »
Ici le profil mitral est dit « normalisé » ou « pseudonormal » car l’augmentation des pressions de remplissage a rétabli la prépondérance du remplissage rapide. L’onde E est redevenue supérieure à l’onde A et le temps de décélération de l’onde E est de nouveau court, lié à l’augmentation des conditions de charge. Afin de démasquer le trouble de la relaxation chez un patient en ventilation spontanée, on lui fait faire une manoeuvre de valsalva, ce qui va diminuer la précharge (pression OG). En cas de dysfonction diastolique on va avoir une inversion du profil mitral, on va retrouver un profil mitral de type 1 avec une diminution de la vitesse de l’onde E et une augmentation de la vitesse de l’onde A, alors qu’en cas de fonction diastolique normal, le profil mitral ne change pas. Chez le patient ventilé on peut effectuer une manoeuvre de recrutement alvéolaire ou un plateau inspiratoire comme « manoeuvre de valsalva » pour démasquer la dysfonction diastolique.
On peut utiliser cette méthode à l’envers pour prédire et évaluer un sevrage ventilatoire : le passage de la ventilation mécanique à la ventilation spontanée est une véritable épreuve d’effort pour le coeur qui voit sa précharge et sa post-charge augmenter. Sur un coeur avec une dysfonction diastolique, l’épreuve de pièce en T peut aggraver la dysfonction diastolique aboutissant à un oedème pulmonaire cardiogénique et à un échec de sevrage. Afin de dépister cela, on peut réaliser un doppler pulsé mitral en continu pendant qu’on passe le patient d’une ventilation en pression positive à une ventilation spontanée en pression négative (pièce en T) = si au passage en pièce en T on voit que le profil mitral s’inverse, c’est que l’épreuve en pièce en T va aggraver la dysfonction diastolique ce qui aboutira à un échec. Il faut donc optimiser la fonction diastolique du patient avant le sevrage: diurétique, béta-bloquant et IEC.
- Profil mitral Type 3 = Profil restrictif
Ici les pressions de remplissage sont très élevées et entraînent une restriction au remplissage du ventricule gauche qui est très peu compliant. L’équilibration des pressions entre le VG et l’OG se fait plus rapidement, ainsi le temps de décélération de l’onde E est très court, traduisant l’élévation des conditions de charge.
Anesthésie et dysfonction diastolique
La particularité de la dysfonction diastolique est qu’en période périopératoire, de faibles variations volémiques, liés par exemple à un saignement, vont entrainer de grosses variations de pressions de remplissages par rapport à un sujet sain. On aura soit un ventricule gauche totalement vide induisant une baisse du volume d’éjéction systolique et/ou des troubles du rythme comme de l’ACFA, ou un ventricule gauche trop plein induisant une congestion en amont avec oedème pulmonaire cardiogénique.

Courbe bleue = dysfonction diastolique : de faibles variation de la précharge (en positif ou en négatif) induisent de grosses variations du VES
Par ailleurs une augmentation de la post-charge ventriculaire gauche (HTA) peut aggraver la dysfonction diastolique en faisant évoluer le profil mitral vers un profil « pseudo-normal » ou « restrictif » (car l’élevation de la postcharge induit une équilibration plus rapide des pressions entre l’OG et le VG avec un TDE réduit) avec augmentation des conditions de charge et donc oedème pulmonaire cardiogénique. Ceci peut être le cas à l’incision lors d’un défaut d’analgésie/anesthésie, en peropératoire lors d’un clampage aortique comme dans la chirurgie de l’anevrysme de l’aorte abdominal ou en postopératoire lors d’une douleur, de frissons etc…
D’autre part les agents anesthésiques ont intrinsèquement des effets sur la fonction diastolique : le sévoflurane et le desflurane ont par exemple des effets inotropes et lusitropes négatifs (ils diminuent la contractilité et la relaxation), mais cet effet n’est pas vraiment cliniquement relevant. Par contre le propofol n’a aucun effet ni sur la relaxation ni sur la compliance du VG.
Screener les patients
Lors de la consultation d’anesthésie, vous allez pouvoir dépister les patients atteints de dysfonction diastolique ou ceux qui ont peut-être une atteinte de la fonction diastolique.
En effet la dysfonction diastolique est une pathologie croissante liée au vieillissement de la population, au diabète, à l’hypertension artérielle ou à la cardiomyopathie ischémique. On sait que la dysfonction diastolique liée à l’âge est le fait d’un appauvrissement en fibres élastiques tissulaires myocardiques ou vasculaires. Dans le diabète, c’est l’hyperglycémie qui induit la dysfonction diastolique : 60% des patients diabétiques asymptomatiques même bien équilibrés ont une dysfonction diastolique et 28% d’entre eux ont une atteinte sévère de la fonction diastolique avec une augmentation des pressions de remplissage du VG. Dans la cardiomyopathie ischémique, l’HTA et toute les cardiomyopathie obstructives (RAc, CMHO…), c’est le remodelage myocardique et l’activation du SRAA avec développement d’une hypertrophie ventriculaire gauche qui vont induire une dysfonction diastolique.
Outre l’évaluation de l’activité physique par l’échelle d’équivalence métabolique (MET > 4 = AG sans problème peu importe les résultats de l’écho coeur), il faudra rechercher chez ces patients à risques (diabétique, coronarien, > 70 ans, HTA, RAc, CMH….) des antécédents d’épisodes de décompensations cardiaques ou d’OAP, des signes cliniques d’insuffisance cardiaque (Oedème pulmonaire, oedème des membre inférieurs), dyspnée à l’effort (stades NYHA), des antécédents d’ACFA permanente ou paroxystique.
Si un compte-rendu d’échogaphie est disponible, regardez s’il y a des critères de dysfonction diastolique, une hypertrophie ventriculaire gauche, une élévation des conditions de charge.
Prévenir et traiter les facteurs favorisants la décompensation de la dysfonction diastolique
- Preserver un rythme sinusal
Comme on l’a vu, chez le sujet normal la contraction auriculaire compte pour 30% du remplissage ventriculaire. Chez les patients cardiopathes, notamment avec une hypertrophie ventriculaire gauche, la contraction auriculaire peut compter jusqu’à 60% du remplissage du VG.
Il faut donc veiller à préserver un rythme sinusal et en cas de passage en ACFA, savoir rapidement faire une cardioversion pharmacologique ou rythmique en fonction de la tolérance hémodynamique.
Comme on l’a déja vu, l’hypertrophie ventriculaire gauche est en elle-même un facteur favorisant l’ACFA en périopératoire, notamment en situation d’hypovolémie, d’anemie ou de dyskaliémies.
- Optimiser la volémie
Comment on l’a déja vu dans mon article précédent, les patients qui ont une dysfonction diastolique ont une courbe de franck-starling extrêmement raide : de faible variation de volémie vont entrainer de grosse variation des conditions de charge et de débit cardiaque.
Il faut donc pouvoir monitorer la volémie de manière adaptée (= doppler oesophagien) et maintenir une précharge adéquate (plutôt un peu trop que pas assez) afin d’avoir un débit cardiaque optimal sans trop augmenter les conditions de charge.
- Prévenir/ralentir une tachycardie sinusale ou non sinusale
La tachycardie ralentit le temps de diastole et de ce fait limite le remplissage du VG. Les patients atteints d’une dysfonction diastolique bénéficient énormément d’un traitement chronique par béta-bloquant, ce qui permet d’allonger la diastole et de limiter l’augmentation des pressions de remplissage. En périopératoire il faudra veiller à prévenir les épisodes de tachycardie (= anesthésie adaptée à l’incision, analgésie adaptée, éviter l’hypovolémie) et en cas de tachycardie sinusale, il faudra la traiter soit en adaptant la profondeur d’anesthésie ou l’analgésie soit en optimisant la volémie avec des moyens de monitorage (ex: le doppler oesophagien).
- Prévenir l’augmentation de la post-charge
Comme on l’a vu, en cas de dysfonction diastolique, l’augmentation de la post-charge fait évoluer le profil mitral vers un profil « pseudo-normal » ou « restrictif » avec augmentation des pressions de remplissage.
Il faudra donc veiller à prévenir les poussées hypertensives.
- Prevenir l’ischémie myocardique/optimiser la balance en oxygène du myocarde.
L’ischémie myocardique est l’un des principaux mécanismes de dysfonction diastolique en périopératoire (anémie, frissons, douleurs, hypoxémie, hypovolémie). Par ailleurs les patients qui ont une hypertrophie ventriculaire gauche peuvent être considérés comme coronarien: en effet l’épaississement du tissu myocardique nécessite une vascularisation coronaire optimale et demande une consommation en oxygène plus importante.
Il faudra donc optimiser la balance énergétique du myocarde en jouant sur la fréquence cardiaque, la diminution de la consommation en oxygène du myocarde, l’hémoglobine, la volémie ou précharge, la postcharge et la douleur.
- Réintroduction précoce du traitement habituel du patient
En postopératoire, il faudra dès que possible reprendre le traitement habituel du patient: les bêta-bloquants qui vont permettre d’allonger le temps de diastole (leur arrêt prolongé en périopératoire est un facteur favorisant démontré d’ACFA périopératoire), reprise des IEC/ARA2 dès que la volémie/fonction rénale du patient le permet qui vont permettre de remodeler le myocarde et d’agir sur le SRAA et limiter l’augmentation des conditions de charge.
- Prendre en charge une décompensation aigue de la fonction diastolique
En cas de décompensation aigue de la fonction diastolique, le patient aura une augmentation des pressions de remplissage (E/A > 2, E/Ea > 15) et souffrira d’oedème pulmonaire cardiogénique.
Il faudra à la fois traiter le facteur déclenchant et la surcharge.
Tout d’abord il faudra évaluer ses conditions de charge en échographie. Ensuite il faudra administrer des diurétiques (20-80mg IVD, certains commencent tout doux surtout chez des patients naîfs en diurétiques pour éviter qu’ils pissent 10litres en 24h, certains titrent les diurétiques 10mg par 10mg toutes les 4h et d’autres balancent d’emblée la grosse sauce!!).
Il faudra aussi traiter le facteur favorisant: cardioversion d’une ACFA, traitement/ralentissement d’une tachycardie, dimunution de la postcharge par inhibiteurs calciques ou dérivés nitrés (qui eux ont l’avantage aussi d’être des veinodilatateurs et de diminuer la précharge), dépistage/traitement d’une ischémie myocardique et ventilation non invasive ou CPAP.
Take Home Messages
- La dysfonction diastolique est une pathologie fréquente et peu connue avec une mortalité similaire à la dysfonction systolique.
- Les patients les plus à risques de dysfonction diastolique = patients âgés, diabète, HTA, cardiopathie ischémique, Rétrécissement aortique et autres Cardiomyopathies obstructives, cardiopathies restrictives (amylose….)
- Dysfonction diastolique = risque de complications cardiaques postopératoires (Oedème pulmonaire, ACFA, Ischémie myocardique)
- Evaluation clinique + échographique = Profil Mitral (cf algorithme)
- E/A > 2 et/ou E/Ea > 15 et/ou TDE < 120 ms = augmentation des conditions de charge = PAPO > 18mmHg = Diurétiques
- Gestion périopératoire: maintenir précharge/volémie, maintenir rythme sinusal, éviter tachycardie, baisser la post-charge, optimiser balance énergétique du myocarde.
Quelques très bons podcasts sur l’évaluation de la fonction diastolique et la dysfonction diastolique (Ultrasoundpodcast.com … it’s in english…)
Bibliographie
- Amour. Gestion périopératoire de la dysfonction diastolique. JEPU
- Piracchio, B. Cholley, S. De Hert, A. Cohen Solal, A. Mebazaa. Diastolic heart failure in anesthesia and critical care. Br J Anaesth 2007 ; 98 ; 6
- Matyal et al. Perioperative assessment of diastolic dysfunction. Anesthesiology 2011 ; 113 ; 3
- Nicoara, M. Swaminathan. Diastolic dysfunction, diagnostic and perioperative managment in cardiac surgery. Curr Opin Anaesthesiol 2015 ; 28 ; 1
- Echocardiographie Doppler chez le patient en état critique. P. Vignon
- Echocardiographie pratique. C. Adams, A. Chauvat, B. Gallet.
Excellent article. Merci pour ton travail
Quelle belle revue !
Une des phrases les plus marquantes que l’on m’est dite pendant ma formation d’écho c’est que l’OG c’est l’hémoglobine glyquée du coeur. A méditer.
J’aime bien ta prudence dans le discours sur la tachycardie. Réfléchir oui, sortir l’atenolol non.
Bye !
Merci!!
La tachycardie est toujours une réponse adaptée à un stress, que ce soit une hypovolémie, une douleur, un frisson, un défaut d’anesthésie etc…
Toujours essayer de corriger en premier le facteur responsable de cette tachycardie. Si elle persiste c’est que cette tachycardie a une autre étiologie.
Avant de balancer les bêta-bloquants en peroperatoire, je m’assure toujours que la volemie du patient soit optimale (Doppler Oesophagien, PICCO). Puis j’utilise un bêta-bloquant de demi-vie courte (brevibloc) en bolus à faible posologie que je répète en titrant et en monitorat le VES, le DC et la volemie.
En postop c’est aussi brevibloc ou bisoprolol PO, toujours en s’assurant d’une volemie correcte et d’une absence de dysfonction VD.
Passionant (même si je risque de me refaire toute la partie physiologie à tête reposé).
Y’a juste un truc dont je veux être sur. On est d’accord que si le patient a plus de 4 MET, on peut se passer de l’écho sauf si on a une histoire avec decompensation/OAP ce genre de chose non ? Parce qu’en lisant l’article et de mémoire, ça reste quelque chose de majoritairement asymptomatique.
Merci d’avance !
Pour moi patient avec MET > 4 = tu peux faire l’AG sans arrière pensée.
Oui la dysfonction diastolique est souvent asymptomatique (= pas de signes d’insuffisance cardiaque). Elle se révèle en présence d’un facteur de décompensation (= effort/stress physiologique inhabituel, tachycardie, ACFA, HTA…) sous forme d’un décompensation cardiaque congestive.
Les dysfonctions diastoliques avec un profil mitral de type 1 n’ont pas de pressions de remplissage augmentée. C’est uniquement dans un contexte d’aggravation du trouble de la relaxation (ischémie myocardique, HTA , tachycardie etc…) que la dysfonction diastolique progresse dans les stades 2 et 3 et devient symptomatique.
En consultation d’anesthésie on peut screener les patients à risques (diabétique, coronaropathes, HTA etc….) mais s’ils ont un MET > 4, l’écho te montrera peut être une dysfonction diastolique, mais ils ne poseront pas de souci pour l’AG. On ne peut pas prédire quels patients vont mal tolérer tel ou tel facteur de décompensation.
En cas de dysfonction diastolique connue il faut juste être vigilant.
Un très bon article, une fois de plus.
Concernant le profil du flux mitral, c’est la première fois que je vois l’algorithme commençant par le E/Ea puis le E/A, et non l’inverse. Ce qui me fait réfléchir à quelque chose : si le E/A est inférieur à 1, n’est-il pas superflu de faire le E/Ea (il sera forcément inférieur à 8), et même raisonnement pour le E/A supérieur à 2 ?
Deuxième question : un E/A inférieur à 1 veut-il forcément dire dysfonction diastolique ? Un état hypovolémique chez un patient ayant une compliance VG correcte ne peut-il pas donné un profil de type 1 ?
Salut Juanito,
Pour ta première question: L’avantage du E/Ea c’est qu’il reflète bien les conditions de charges. En effet la mesure de l’onde Ea est très reproductible ce qui est moins le cas pour le E/A qui dépend à a fois de la relaxation et de la précharge. Tu peux avoir un E/A < 1 avec un E/Ea > 8 voire > 15 , ce qui te donne le diagnostic de conditions de charge augmentées.
En échographie cardiaque un diagnostic est posé sur un faisceau d’arguments et pas que sur une seule valeur calculée. C’est pourquoi il faut répéter les mesures, faire des mesures à des endroits différents (ex: mesure de l’onde E en latéral et en septal) pour s’affranchir le plus possible de la variabilité inter-observateur. C’est pourquoi on utilise plusieurs mesures pour évaluer les conditions de charge et pas que le E/A.
Deuxième questiion : oui un E/A < 1 veut forcément dire dysfonction diastolique. Un patient avec une fonction diastolique normale mais hypovolémique aura un E/A > 1 avec une diminution équivalente de l’amplitude de l’onde E et A. Pour rappel un E/A < 1 veut dire que l'onde A est prédominante sur l'onde E = la contraction auriculaire contribue énormément au remplissage du VG du fait d'un défaut de relaxation. Chez un patient hypovolémique ça ne sera pas le cas. Voila, désolé pour la réponse tardive, mais vacances oblige 😉
salut, tu expliques que l’onde E’ refllete le deplacement de l’anneau mitrale vers le VG mais à mon sens c’est plutot le contraire, un deplacement vers l’oreillette. L’onde E’ est negative et par definition s’eloigne donc de la sonde qui est situé a l’apex en ett.
Oula non autant pr moi je me voyais en ETO :).
Euh en fait non! Comme quoi c’est pas si simple je m’embrouille tt seul. Mais effectivement je pense qu’elle represente l’eloignement de l’anneau mitral par rapport au vg.
Bonjour, je suis infirmier et l’on m’a diagnostiqué une légère d.d. suite à de la fatigue ++ et de l’essoufflement à l’effort. Je suis diabétique type II très stable, mais avec une surcharge pondérale. Compte-tenu que je ne fais pas beaucoup d’exercice physique, j’ai décidé, il y a quelques semaines, de faire de la marche sur tapis roulant. Je n’ai aucune drs et mon essoufflement semble aller bien en marchant quelque peu rapide, mais mon cœur devient, forcément, tachycarde mais toujours sinusal. Devrais-je, selon vous, cesser toute activité physique pour éviter la tachycardie ? Merci de vos commentaires !
Très bel article
Signé un cardiologue!
Tu montres ta passion pour la physiopathologie et le raisonnement clinique!
Bravo
Excellent ! Très bonne mise au point avec applications cliniques très claires , merci !
Merci pour cet exposé d’une limpidité redoutable!
vous avez éclairer ma lanterne.bravo
merci beaucoup pour cette article magnifique, je suis interne en cardio et j’ai beaucoup aimé. que DIEU te bénisse
Excellent ! vraiment les meilleurs explications de la fonction diastolique …
Je suis de formation math physique et ingénieur telecom mais j’ai compris l’essentiel. C’est formidable. Je comprends maintenant de quoi je soufre. Merci. AYIKOE / Togo