L’échographie veineuse « de compression »: faire le diagnostic de TVP en 10min
En réanimation, on prescrit très fréquemment des échographies veineuses : grosse jambe rouge, fébricule non expliquée, suspicion thrombophlébite sur KTC, suspicion d’EP, indication de flowtron chez des traumatisés craniens mais on veut éliminer une TVP avant de les mettre… Les demandes d’écho veineuses sont nombreuses, pas toujours justifiées non plus.
Nos amis échographistes nous le font bien remarquer, ils en ont marre de se trimballer dans tout l’hôpital avec leur grosse machine, faire des manœuvres complexes pour contourner les fils électriques du respirateur ou de la machine d’hémofiltration etc ….
D’autre part, ces échographies veineuses sont rarement une « urgence vitale » et on doit donc attendre que le médecin vasculaire arrive à se libérer pour venir faire l’échographie veineuse. Parfois c’est dans la journée, parfois c’est le lendemain ou le surlendemain. Comme nous sommes des gens très pressés et peu patients, on aime bien « harceler » les pauvres médecins vasculaires en refaxant les bons d’écho ou en les appelant à tous moments. A notre décharge, l’exclusion ou le diagnostic de TVP nous permet d’éviter ou d’instaurer un traitement anticoagluant et d’avancer dans notre démarche diagnostic et thérapeutique.
(NB : nos médecins vasculaires sont très gentils et disponibles mais faut bien les taquiner un peu de temps en temps)
Et si, nous, réanimateurs, nous pouvions faire l’échographie veineuse nous-même, faire le diagnostic et instaurer le traitement anticoagulant sans même faire un bon d’écho veineuse ?!!
Cet article a été écrit avec la collaboration du Dr Vincent G. ,médecin vasculaire au CHU de Caen. Merci à lui 😉 . J’ai beau tailler un peu les médecins vasculaires/échographistes, je les aime bien quand même !!
L’échographie veineuse « de compression » faite par des non-échographistes
C’est ce que nos collègues urgentistes ont essayé de faire il y a déjà quelques années. En effet une grosse partie des patients qui se présentent aux urgences avec une suspicion de TVP ou d’EP n’en ont pas une. Donc au lieu d’appeler à chaque fois le médecin vasculaire/l’échographiste pour « rien » ils ont voulu savoir s’ils pouvaient faire le diagnostic (ou l’exclure) eux-mêmes. En 2007 une étude a évalué de manière prospective la performance d’une échographie « de compression » réalisée par des urgentistes (formés à l’écho veineuse en 30h) pour le diagnostic de TVP confirmé 24-48h plus tard par échographie. L’échographie réalisée par les urgentistes avait une VPN de 100% et une VPP de 95%.
Une autre étude en 2000 a évalué la performance et la rapidité diagnostique des urgentistes comparées à celles des échographistes pour le diagnostic de TVP par échographie « 4 point ». Urgentistes et échographistes avaient le même diagnostic dans 98% des cas.
Une méta-analyse de 2013 retrouvait une sensibilité de 96,1% et une spécificité de 96,8% pour l’échographie « 4-points » réalisée par des médecins urgentistes.
Ces chiffres ne sont valables que chez des patients symptomatiques, sans ATCD de TVP et avec une thrombose veineuse proximale. En effet les patients avec ATCD de TVP peuvent avoir des signes échographiques séquellaires (tels que l’épaississement de la paroi, un flux ralenti…) jusqu’à 1 an après, et l’échographie « de compression 2-point » est peu sensible et spécifique pour les thromboses veineuses distales distales (sous-poplitées). En même temps, les thromboses veineuses distales ne s’étendent que dans 10% des cas en proximale, elles sont rarement responsables d’embolie pulmonaire et il existe un doute sur l’intérêt d’une anticoagulation dans ces cas là (à contrebalancer avec les effets indésirables d’une anticoagulation curative).
D’autre part ces études concernaient des patients « tout-venant » des urgences ou il était possible de s’aider du dosage des D-Dimères et du Score de Wells pour exclure le diagnostic.
Ces résultats ne sont donc pas totalement applicables aux patients de réanimation : le dosage des D-dimères est inutilisable en réanimation car souvent élevé pour d’autres raisons (traumato, infection, néoplasie, hématome, chirurgie récente…) ce qui donne des faux-positifs ; le Score de Wells n’ a été validé que chez des patients ambulatoires, des urgences ou hospitalisés, mais pas chez des patients de réanimation. D’autre part son utilisation est limitée en réanimation (sédation des patients, difficulté de communication).
Justement si on prend le score de Wells, les patients de réanimation ont tous au moins un risque modéré de MTEV (Cancer + 1 , paralysie/parésie/immobilisation plâtrée +1 , alitement > 3jours ou chirurgie majeure +1).
En 2011, une étude parue dans Chest a essayé de répondre à cette question : l’échographie veineuse de « compression 2-point» est elle fiable en réanimation ? Sur une population de patients de réanimation médicale, chirurgicale ou cardio-thoracique avec une suspicion de MTEV des membres inférieurs proximaux (érythème, œdème uni-ou-bilatéral, douleur au mollet ou suspicion d’EP), 128 échographie veineuse « de compression 2-points » ont été réalisées par des réanimateurs (la majorité était des « fellows » = vieux internes/chef de pique nique). Puis l’examen était refait par des échographistes/médecins vasculaires confirmés avec une technique standard d’échographie veineuse complète. L’échographie de « compression 2 points » avait une sensibilité de 86% et une spécificité de 96%. Dans 4 cas ou le diagnostic de MTEV était fait par l’échographie de « compression 2-point » mais pas par l’échographie veineuse « standard », le médecin vasculaire/échographiste changeait son diagnostic en revoyant les images de l’échographie de « compression 2-point ».
Par ailleurs le délai médian d’obtention de l’échographie veineuse « standard » était de 13,8 heures, alors que le délai médian de réalisation de l’échographie veineuse « de compression 2-point » était de 12,5 min.
En conclusion, l’échographie veineuse « de compression en 2-point » est réalisable en réanimation, par des réanimateurs et avec une bonne spécificité, mais dans certaines conditions :
- Recherche uniquement de thrombose veineuse PROXIMALE
- Performante chez des patients symptomatiques ou avec une forte suspicion
- Pas d’ATCD de TVP
- N’a de valeur que si elle est positive !!
- En cas de doute ou de négativité : refaire l’examen quelques jours plus tard / demander une échographie veineuse « standard » par un échographiste/médecin vasculaire
- Risque de faux-positifs si réalisée sur un KTC fémoral.
Maintenant que nous avons définit les conditions de validité de l’échographie « de compression en 2-point », nous allons voir comment la réaliser.
Comment faire une échographie veineuse « de compression » et rechercher un thrombus?
La sonde et les réglages
On doit utiliser une sonde linéaire de haute fréquence. On utilisera le mode-B en réalisant des coupes transversales
Un seul critère à rechercher : L’incompressibilité de la veine.
Etant donné que nous ne sommes pas tous des échographistes avertis, il nous faut un signe simple, facile et performant à rechercher pour faire le diagnostic. C’est l’incompressibilité de la veine !!
Une veine non pathologiques est normalement compressible : en appuyant de manière transversale par rapport à la veine, elle doit normalement se collaber entièrement sans qu’on ait à appliquer beaucoup de force. Si par contre elle ne se collabe pas ou qu’on est obligé d’appliquer beaucoup de force, c’est qu’il y a probablement un thrombus dedans ou en aval du point de compression. Dans ce dernier cas on va alors regarder ce qu’il y a plus haut pour chercher le thrombus.
VS
Ou positionner sa sonde et quelle veine faut-il observer ?
Classiquement l’échographie « de compression » est réalisée en « 2 points » : veine fémorale commune et veine poplitée.
Or il semble que certaines thromboses veineuses proximales peuvent être isolées à la veine grande saphène chez des patients asymptomatiques. Un thrombus dans la veine grande saphène n’est considéré comme TVP que si il se situe à moins de 3 cm de son abouchement dans la veine fémorale commune. On peut donc étendre un peu l’analyse en effectuant une échographie « de compression » réalisée en « 3 points » : veine fémorale commune, veine grande saphène et veine poplitée.
En pratique il est possible d’examiner la veine fémorale commune et la veine grande saphène en même temps en cherchant la confluence des deux veines.
Les autres critères « mineurs »
Normalement l’échographie « de compression » doit se limiter à la recherche de l’incompressibilité de la veine, car c’est le seul signe fiable.
Mais parfois en cas de doute on peu s’aider en recherchant d’autres signes :
- Visualisation du thrombus
On peut parfois voir le thrombus qui flotte dans la lumière de la veine. C’est surtout le cas quand le thrombus n’est que partiellement obstructif, non adhérent et mobile. Lorsqu’il est subocclusif, on a une image en « double liseré ». Lorsqu’il est totalement occlusif, il se repère par un contraste anormal de la lumière de la veine. Normalement une veine normale est anéchogène (c’est noir), lorsqu’il y a un thrombus occlusif, elle devient discrètement échogène = « grise ». Cependant, le fait que la lumière de la veine soit anéchogène ne veut pas dire qu’il n’y a pas de thrombus, un thrombus récent peut être anéchogène. Lorsqu’il devient isoéchogène (comme le muscle) c’est un thrombus un peu plus ancien.
Attention aussi, chez les patients de réanimation qui sont sédatés et immobiles : du fait de la stase veineuse chez ces patients on peut parfois observer une discrète hyperéchogénicité de la lumière de la veine sans qu’il y ait de thrombus (formation d’agrégats érythrocytaires). Il suffit alors de comprimer la veine pour voir si elle s’écrase bien = pas de thrombus.
- Dilatation veineuse
Ce signe est visible à la phase précoce, la veine est dilatée à 2 ou 3 fois son diamètre habituel. Il faut cependant avoir l’habitude, mesurer le diamètre de la veine et comparer au côté controlatéral sain. En pratique c’est rarement fait, même par les médecins vasculaires.
- Modification du signal Doppler
En utilisant le mode doppler couleur ou pulsé, sous réserve de l’utilisation d’un bon angle d’incidence, on peut observer soit une absence totale de signal en cas d’occlusion complète ou une diminution des variations respiratoires du signal, en cas d’obstruction partielle ou en amont. L’astuce est de comprimer la veine pas complètement, de façon à laisser passer un peu de « couleur », idéal pour faire la différence entre partiel et obstructif.
VS
On peut également observer que le signal doppler « contourne » un obstacle dans la veine, qui n’a pas de signal = c’est le thrombus.
- Développement d’une collatéralité
Un signe d’une thrombose d’aval, est le développement de collatérales veineuses très développées, drainant le membre, notamment des collatérales sus pubiennes, via la crosse de la veine grande saphène, ou l’exceptionnelle inversion de sens du flux de la veine iliaque interne en cas de thrombose de l’iliaque commune
Les diagnostics différentiels
Il faut les connaître pour éviter de se faire avoir : parfois on a l’impression que la veine n’est pas compressible, mais en réalité c’est un kyste poplité, un hématome ou un faux-anévrisme. De même pour la visualisation d’un thrombus sous la forme d’une image ronde discrètement échogène, ca peut tout simplement être un kyste poplité ou un hématome.
En pratique pour éviter de se tromper, il faut rester logique et pragmatique : 1) toujours trouver l’artère qui se trouve toujours à coté de la veine et 2) savoir suivre le trajet de la veine et utiliser le doppler couleur pour être sur que c’est bien une veine et pas un kyste ou un hématome.
Comment faire une échographie veineuse chez un patient avec KTC fémoral?
Le principe de recherche de TVP est identique : il s’agit d’écraser complètement la veine, en sachant que dans la plupart des cas on sera gêné par le pansement, surtout si ce n’est pas un opsite.
On doit normalement retrouver le KTC flottant dans la lumière veineuse, il PEUT être entouré de ce qu’on appelle un manchon de fibrine, qui est circulaire et se développe en périphérie du KTC, et non fixé à la paroi. A noter qu’à l’ablation du KT, il n’est pas rare que ce manchon de fibrine reste en place dans la veine, on retrouve alors un fin thrombus partiel, flottant, qui selon la situation, ne justifie pas à priori de traitement anticoagulant. Sinon, lors de la thrombose sur KTC, le thrombus est généralement fixé à la paroi, partiel, bien qu’obstructif le plus souvent.
Comment rechercher une thrombose veineuse aux membres supérieurs ?
Concernant les membres supérieurs, on aura affaire le plus souvent aux thromboses veineuses superficielles suite aux diverses perfusions/prises de sang, ce qui donne un tableau de gros bras/avant bras/main. La méthode de compression est particulièrement valable pour les veines brachiales (attention, il y a 2 veines brachiales, 2 veines radiales 2 veines ulnaires, mais qu’une seule veine axillaire, sub clavière, une seule fémorale commune, et dans de rares cas : 2 fémorales superficielles), les veines radiales et ulnaires, et selon tolérance, la veine jugulaire interne. En sachant que les thromboses des veines radiales et ulnaires sont exceptionnelles.
Attention aussi de ne pas confondre le nerf brachial, souvent isoéchogène avec un aspect en pomme d’arrosoir, qui peut être pris pour une thrombose veineuse). Pour la veine axillaire, généralement on positionne la sonde sous la clavicule de façon à avoir l’artère et la veine sur la même coupe, la veine doit être compliante et être compressible. Si vous avez une image trop arrondie sans flux visualisé et que vous avez bien l’artère à côté alors c’est qu’elle est bouchée. Vous pouvez toujours vous aider d’une chasse au niveau du bras en comprimant le biceps pour voir si un flux apparait (attention à bien baisser votre échelle de vitesse, sinon rien n’apparaitra). Le principe est identique pour la compression de la veine jugulaire. La veine sub clavière et le tronc veineux brachio-céphalique font partie des veines les plus difficiles à explorer : pas de compression possible, vous devez donc avoir la meilleure image possible, et pour cela, il faut se mettre dans les creux sus claviculaires et essayer d’orienter la sonde vers le 2ème espace inter costal droit, tout en suivant la veine jugulaire interne, qui rejoindra la veine sub clavière pour former le tronc veineux brachio céphalique.
Si thrombus il y a, vous pouvez voir soit une image iso ou hypoéchogène dans la lumière et si vous passez en mode couleur, vous pouvez voir la couleur entourer le thrombus.

Thrombus dans la Veine Jugulaire Interne Gauche : on voit que peu de doppler couleur dans la lumière . A gauche de la jugulaire se trouve l’artère carotide
Les signes indirects décrits plus haut sont tout à fait valable pour les thromboses des veines des membres supérieurs. Un de ces signes est particulièrement intéressant, surtout lorsque vous suspectez une thrombose de la veine subclavière ou du tronc veineux brachio céphalique : il s’agit de comparer les tracés veineux dans les 2 veines axillaires, qui normalement doivent être rythmés par la respiration/rythme cardiaque. Si dans un côté, vous avez un flux qui est peu ou pas du tout modulé, et que l’autre côté l’est, alors à priori il y a de fortes chances qu’il y ait un thrombus en veine sub clavière ou dans le tronc veineux brachio céphalique.

Disparition de la variabilité du signal doppler de la Jug Int Dte liée au rythme cardiaque secondaire à un thrombus
Voici un résumé des notions abordées dans l’article:
Take Home Messages
- L’échographie veineuse de « compression » n’a de valeur que si elle est positive. En cas de négativité il faut répéter l’examen.
- Elle doit être réalisée chez des patients de réanimation symptomatiques sans ATCD de TVP
- Les 3 veines à explorer aux membres inférieurs sont: veine fémorale commune, veine poplitée, veine grande saphène.
- Le seul signe fiable est l’absence de compressibilité de la veine.
- On peut s’aider: du doppler couleur (absence de signal ou que partiel) et de la visualisation directe du thrombus (attention aux faux positifs en cas de stase veineuse)
- L’échographie veineuse de compression est aussi valable pour les veines contenant un KTC et pour les membres supérieurs.
Encore un grand merci au Dr Vincent G. pour sa précieuse aide et collaboration à l’écriture de cet article. Je tâcherai maintenant de me calmer sur les bons d’échographie veineuse 😆
Bibliographie
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- La thrombose veineuse: quoi de neuf? A. Armand-Perroux, M-T. Barrelier. Réanimation 2008 ; 17
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- Accuracy of emergency physician-performed ultrasonography in the diagnosis of deep vein thrombosis: a systematic review and meta-analysis.Pomero et al. Throb Haemost 2013 ; 109 ; 1
- Lower-extremity Doppler for Deep Venous Thrombosis—Can Emergency Physicians Be Accurate and Fast? Blaivas et al. Academic Emergency Medicine 2000 ; 7 ; 2
- Diagnostic par ultrasons des thromboses veineuses profondes des membres inférieurs. Antoine Elias. Echo-Doppler Vasculaire n°11 , 2012
- http://ultrasonographie-vasculaire.edu.umontpellier.fr
merci beaucoup, article très instructif, comme toujours!
Merci, tres instructif, isolé sur mon ile, ton petit topo m’aide bien
on va acquérir incessamment un écho cœur et j’aimerais bien avoir des références pour les débutants
merci