Le merveilleux conte du laryngoscope
Chaque année, pleins d’internes d’anesthésie-réanimation et d’élèves infirmier anesthésiste apprennent à intuber et à se servir du laryngoscope : comment le tenir, le bon mouvement à avoir, comment tracter sans casser les dents du patient ! Après ils apprennent à utiliser les versions plus sophistiquées du laryngoscope : vidéolaryngoscope, AirTrach, laryngoscope à lame droite…
Mais cet outil n’a pas été toujours aussi sophistiqué ou compact. Il a même failli ne jamais voir le jour !
Voici l’histoire de la laryngoscopie contée pour vous.
Il était une fois un grand professeur de chant, du nom de Manuel Garcia, originaire d’Espagne. Ses parents étaient chanteurs d’Opéra. Il était frustré de ne pas pouvoir voir ses cordes vocales en pleine action, lorsqu’il chantait.
Pendant l’été 1855, il vint en vacances à Paris. Il se promena un jour paisiblement dans les jardins du Palais-Royal. C’est alors qu’un rayon de soleil se réfléchit sur le pommeau d’argent de sa canne. Il eut alors un éclair de génie et voulu regarder ses cordes vocales à l’aide de deux miroirs : l’un dirigeant la lumière et l’autre lui permettant de regarder au fond de sa gorge. Pour se faire il utilisa un miroir de dentiste et un miroir à main. Apres avoir trempé le miroir de dentiste dans de l’eau chaude, il l’éclaira avec son autre miroir en lui renvoyant la lumière du soleil. Il put ainsi voir sa glotte, mais que les 2/3 dit-on.
En rentrant à Londres, où il s’était installé, il rédigea un mémoire intitulé : Observations physiologiques sur la voix humaine, qu’il présenta à la Société royale de Londres et qui fut publié ensuite dans deux grandes revues anglaises. Garcia adressa alors la traduction de son mémoire à des médecins, physiologistes et musiciens français. Cependant personne ne s’y intéressa, la seule référence à son mémoire apparu dans la Gazette Hebdomadaire de Novembre 1855.
Au cours de l’été 1857, Ludwig Türck, professeur de médecine à Vienne, eut connaissance des travaux de Garcia. Il tenta alors d’examiner son larynx et jugea ses recherches « tout à fait nouveau lorsqu’on l’oppose aux tentatives infructueuses faites jusque-là, et à l’opinion prédominante qui admettait l’impossibilité d’utiliser le laryngoscope dans un but pratique ».
Il dut mettre un terme à ses essais lorsque les rayons du soleil devinrent insuffisants avec « l’arrivée des mauvais jours ».
C’est alors que Czermack, professeur de physiologie à Pest, emprunta à Türck ses miroirs. Il recourut d’emblée à la lumière artificielle. Au début il utilisa une simple flamme dont il se protégeait avec un miroir, puis il utilisa un miroir concave qui permettait de concentrer les rayons d’une lampe sur son pharyngolarynx. Czermack publia dès le mois de mars 1858 sa méthode d’examen du larynx avec lumière artificielle dans la Gazette hebdomadaire de Vienne, dans un article intitulé « Du miroir laryngé ». Il examinait ses patients dans une pièce sombre avec des draps pour cacher la lumière. Il n’y avait que la bougie, les miroirs, le patient et Czermack !
Cette publication déclencha immédiatement un conflit avec Türck, qui se revendiquait comme le père de ce procédé. Ils vinrent tous les deux demander l’arbitrage de l’Académie des Sciences de Paris. Celle-ci ne voulant pas prendre parti, leur accorda chacun un prix de douze cents francs en 1861. Le compte rendu publié dans La Gazette médicale, concluait : « la méthode de Monsieur Czermack est certainement de beaucoup préférable à celle de ses prédécesseurs, mais il serait injuste de ne pas tenir compte de leurs tentatives et des résultats qu’ils avaient obtenus »
Par la suite, la laryngoscopie devint un excellent sujet de thèse et de publications, grâce à la publicité donnée par ce différend entre Türck et Czermack et par le dynamisme de ce dernier pour faire connaître le laryngoscope. Charles Fauvel, encouragé par Trousseau, soutint sa thèse intitulée « Du Laryngoscope au point de vue pratique ». Il racontait les débuts de la laryngoscopie à l’hôpital de Lariboisière, ou il put bénéficier de l’aide du chef de service de chirurgie Léon-Clément Voillemier. L’année suivante, en 1862, Edouard Fournié présenta un mémoire à l’Académie des Sciences : Etudes pratiques sur le laryngoscope et l’application des remèdes topiques dans les voies respiratoires.
On se rendit compte, en faisant des recherches sur le sujet, que plusieurs médecins et physiologistes avaient fait des recherches sur le laryngoscope et avait publié des articles sur le sujets, certains avant Czermack et Türck, mais qui étaient tombés en désuétude, soit parce que le médecin en question voulait garder son idée pour lui ou parce que le laryngoscope n’intéressait personne. C’est grâce à Czermack et à son conflit avec Türck que la laryngoscopie fut généralisée.
Grace à cette publicité, il se forma une génération de « laryngologistes » dont faisaient partie Fauvel, Fournié, Moura-Bourouillou, Mandl et McKenzie. Ils s’initièrent à la laryngologie naissante et se firent connaître en créant des cliniques, en organisant des cours et en publiant sur la nouvelle spécialité qu’était la laryngologie.
Toutes les observations du larynx étaient faites de manière indirecte jusqu’à maintenant. C’est Alfred Kirstein qui décrivit pour la première fois la visualisation directe des cordes vocales. On dit que son intérêt pour la visualisation directe des cordes vocales naquit après la mort de l’empereur allemand Frederik, qui succomba à un cancer du larynx en 1888.
C’est alors qu’arriva un collègue de Kirstein, qui par inadvertance, passa un endoscope dans la trachée au lieu de l’œsophage. Cet épisode motiva Kirstein. , qui développa l’autoscope, un instrument permettant de voir les cordes vocales de manière directe. Plusieurs modifications furent apportées à ce premier autoscope, qui vit le jour en 1895. En combinant une source de lumière proximale dans le manche et des pièces de métal qui permettaient de relever l’épiglotte, Kirstein est reconnu comme le père de la laryngoscopie directe.
Chevalier Jackson, un professeur de laryngologie au Jefferson Medical College a Philadelphie, a été le premier à décrire l’utilisation de la laryngoscopie directe avec l’introduction d’un tube endotrachéal. Il publia son travail en 1913 « The technique of insertion of endotracheal insufflation tubes »
Jusqu’à cette époque, le laryngoscope était principalement utilisé par les chirurgiens. En 1913, la même année que Chevalier Jackson, Henry Janeway, un anesthésiste américain qui travaillait au Bellevue Hôpital à New York, publia un article qui s’intitulait « Intratracheal Anaesthesia from the Standpoint of the nose, throat and oral surgeon with a description of à new instrument for catheterizing the trachea ». A cette époque, les chirurgies de la cavité oro-pharyngée étaient réalisées par inhalation, anesthésie locale, rectal ou intraveineuse. Le désavantage de ces techniques était qu’elles ne protégeaient pas les voies aériennes supérieures de l’inhalation de mucosité et de sang. C’est pourquoi le placement d’un tube dans la trachée était la technique optimale pour ce type de chirurgie, car il permettait de protéger les voies aériennes ET d’administrer l’anesthésie. Janeway développa alors un laryngoscope spécifiquement conçu pour l’insertion d’un tube endotrachéal. Ce laryngoscope était le premier en son genre, car il disposait d’une batterie intégrée dans le manche, qui fournissait une source de lumière en distalité. Il avait un creux au centre de la lame pour pouvoir faire passer le tube. Par ailleurs la forme de la lame était légèrement courbée afin de faciliter le passage du tube entre les cordes vocales.
Cependant le laryngoscope de Janeway ne devint pas populaire, même si l’anesthésie par tube endotrachéal était en train de devenir de plus en plus populaire pour la chirurgie de la face et de l’arbre respiratoire, au moment de la 1ere Guerre Mondiale. Après la guerre, Sir Harold Gilies et deux anesthésistes britanniques, Ivan W. Magill et E.S. Rowbotham décrivirent des méthodes pour administrer une anesthésie par tube endotachéal de manière sécuritaire. Pour ce faire, deux cathéters d’insufflations étaient introduits dans la trachée grâce à des « forceps d’intubation ». Ils préférèrent par la suite l’utilisation d’un seul et unique tube endotrachéal qui était plus large et qui permettait l’inspiration et l’expiration à travers le même conduit. Cette méthode était plus physiologique et plus économique. C’était le début de l’anesthésie inhalatoire que l’on connaît actuellement.
En 1930, Magill apprit à John S. Lundy, le chef de service d’anesthésie de la Mayo Clinic, sa technique d’intubation. Ensuite Lundy la développa avec ses collègues au sein de la Mayo Clinic. Cependant, à cette époque, le matériel construit spécifiquement pour la pratique de l’anesthésie était rare. Lundy signa des accords avec des manufacturiers (par exemple la Welch Company à Auburn) pour créer des laryngoscopes direct et des lames, les Lundy blades, spécifiquement pensés pour l’anesthésie.
C’est ainsi que divers laryngoscopes et lames de laryngoscopie apparurent. Lundy, par exemple, avait un laryngoscope rigide, car il n’avait pas besoin de le transporter. Au contraire, Guedel utilisait un laryngoscope pliable, ce qui lui permettait de l’emmener facilement d’hôpital en hôpital.
Il y eut également différents types de lames. La lame de Wisconsin était droite avec une seule source de lumière, alors que la lame de Searle avait 2 ampoules, une de chaque côté de la lame. En 1941 Robert Miller écrivit un article dans Anesthesiology ou il présenta sa lame qui était incurvée à son extrémité, actuellement connue comme la lame de Miller.
En 1943, Robert McIntosh inventa une lame avec une courbe continue, permettant de diminuer le risque de bris dentaires lors de l’intubation. C’est la lame que nous utilisons le plus couramment aujourd’hui.
J’espère que ce court résumé de l’histoire du laryngoscope vous a plu. On a pu voir qu’il n’a failli ne pas voir le jour à plusieurs reprises, et c’est grâce à des coups de publicités comme le conflit entre Türck et Czermack et grâce à la ténacité et à l’ingéniosité des médecins de l’époque, que la médecine a pu progresser.
On peut imaginer qu’à l’époque, l’examen laryngologique devait être particulièrement douloureux et désagréable. L’examen en laryngoscopie directe nécessitait un patient parfaitement compliant, un laryngologue agile et une chambre sombre. La procédure ne pouvait pas durer très longtemps, car elle était inconfortable. Il y avait les médecins qui préférait que le patient soit assis pendant qu’ils étaient debout, d’autres préféraient que tous les deux soient assis ou debout
Par ailleurs, on peut dire que c’est grâce au laryngoscope que la laryngologie ou la spécialité d’ORL a été développée. En effet, en parallèle du développement de la laryngoscopie directe, les chirurgiens développèrent la laryngoscopie suspendue. C’est Killian qui en eut le premier l’idée. Il voulait faire un dessin précis du larynx pour un article. Il demanda alors à un artiste de dessiner le larynx, pendant que Killian fit une laryngoscopie directe. Mais l’artiste était trop lent et le bras de Kilian commençait à fatiguer. C’est alors qu’il prit des bouts de métal et les attacha à la table de dissection et au laryngoscope. La laryngoscopie suspendue était née.
Bibliographie
- Christopher M. Burkle, M.D., Fernando A. Zepeda, M.D., Douglas R. Bacon, M.D., Steven H. Rose, M.D. A Historical Perspective on Use of the Laryngoscope as aTool in Anesthesiology. Anesthesiology 2004 ; 100
- Legent. Peut-on dater la laryngoscopie? La lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale n°300 -2005
- Jahn, A.Blitzer. A short history of laryngoscopy. New York Center for Voice and Swallowing Disorders at St Luke’s/Roosevelt’s Hospital Center. Log Phon Vocol 1996; 21
- Images d’époque de www.bium.univ-paris5
excellent article très documenté, très bien illustré, très intéressant à lire… me permettez-vous d’utiliser 2 ou 3 images pour une publication dans e-clystère, à propos d’un miroir de Czermak qui vient d’entrer dans nos collections du Musée d’Histoire de la Médecine de Lyon ?
Une faute d’orthographe au début : « …il eut alors un éclair de génie et voulu… (mettre un t à voulut)
Docteur J. Voinot,
merci pour l’article, j’aurais une belle histoire à raconter pour introduire mon cours.