Comment dépister l’OAP de sevrage
L’OAP de sevrage représente une des principales causes d’échec de sevrage respiratoire, de l’ordre de 30-40% selon les études.
Il est secondaire à la dysfonction diastolique fréquente chez les patients de réanimation et à la surcharge liquidienne qui fait suite à la réanimation initiale.
Il est demasqué par l’inversion du régime de pression intrathoracique lors de l’épreuve de ventilation spontanée. Lorsque le patient est en VSAI avec PEEP, les pressions intrathoraciques sont positives. En revanche lorsqu’on fait une épreuve de pièce en T ou qu’on extube le patient, le régime de pression s’inverse avec une négativation de la pression intrathoracique lors de l’inspiration. Ceci favorise le retour veineux mais augmente aussi la postcharge du VG. En effet la pression positive abaisse la postcharge du VG et la PAPO, d’où le fait que la CPAP est efficace dans l’OAP.
A titre d’exemple, cette étude physiologique chez 14 patients de réanimation ayant déjà eut un échec d’extubation, monitorés par Swan-Ganz. On voit clairement que la PAPO augmente de manière significative entre la ventilation en VSAI avec PEEP et la ventilation en VSAI sans PEEP ou en Pièce en T.

Tant que le patient est en VSAI avec PEEP, il est difficile de prédire s’il va faire ou non un OAP se sevrage à l’extubation.
Comment faire pour l’anticiper?
1) Balance liquidienne
Au cours de la réanimation initiale, il est fréquent d’administrer un grand volume de solutés de remplissage. Une fois que le cap de cette réanimation initiale est passé, il est fréquent de retrouver des patients en surcharge hydrique majeure avec une prise de poids conséquente. On retrouve alors fréquemment des oedèmes des lombes et des membres inférieurs. A noter que si vous avez un oedème des membres inférieurs bilatéral qui prend le godet, vous avez déjà 3L de surcharge liquidienne.
On sait que la surcharge hydro-sodée est un facteur de morbi-mortalité en réanimation, tout d’abord parce qu’elle reflète la gravité de la pathologie initiale, mais aussi elle favorise les complications de réanimation : SDRA, Pneumopathie, retard de transit, insuffisance rénale, infections, retard de cicatrisation etc…
Dans une étude de cohorte prospective multicentrique sur 900 patients de réanimation intubés plus de 48h, la balance liquidienne avant extubation était associée à l’échec d’extubation avec un OR d’1,7. (Frutos-Vivar et al. Chest 2006)

Il est donc important de rechercher des signes de surcharge (Oedème des lombes ou des membres inférieurs, crépitant bilatéraux, oedème pulmonaire radiologique) et de monitorer le bilan entrée-sortie ainsi que le poids des patients au cours de sevrage respiratoire. On pourra alors retarder une extubation chez un patient en surcharge de +10kg, mettre des diurétiques et l’extuber une fois qu’il aura perdu un peu de poids.
2) L’inversion du profil mitral
Comme on l’a vu dans l’introduction, le passage de la ventilation avec PEEP à la ventilation sans PEEP ou à la ventilation spontanée, s’accompagne d’une augmentation du retour veineux et d’une augmentation de la postcharge du VG. Il est donc possible d’observer ce phénomène grâce à l’échographie cardiaque.
Chez votre patient en cours de sevrage respiratoire, il suffit de faire un profil mitral en VSAI + PEEP et de le refaire en VSAI sans PEEP ou en pièce en T. Si votre E/A et votre E/Ea augmentent entre les 2 régimes de pressions et que votre TDE chute, c’est un bon facteur prédictif d’OAP se sevrage. En effet le profil mitral devient restrictif ce qui témoigne d’une augmentation des pressions de remplissage du VG.

Les paramètres du profil mitral pris de manière isolée AVANT l’épreuve de ventilation spontanée ne sont pas de bons prédicteurs de l’OAP de sevrage, excepté si vous avez un E/A > 2 et un E/Ea > 15 avec un TDE < 150ms.
C’est surtout la valeur de ces indices pendant l’épreuve de sevrage et leur variation qui est informative. Les valeurs seuils varient beaucoup selon les études, alors je vais vous montrer plusieurs exemples.
Dans un étude de cohorte prospective chez 40 patients de réanimation monitorés par Swan-Ganz, l’association d’un E/A ≥ 0,95 et d’un E/Ea > 8,5 après 1h de pièce en T était prédictive de l’échec de sevrage avec une Se 82%, une Sp 91%, une VPP 88% et une VPN 87%. Cette étude a exclut les patients qui présentaient une pathologie ou une prothèse mitrale et les patients en ACFA (Lamia et al, CCM 2009)

Dans une autre étude chez 68 patients de réanimation prévu pour une épreuve de sevrage en VSAI sans PEEP, le rapport E/Ea avant le début de l’épreuve de sevrage était prédictif de l’échec avec une AUC à 0,75 pour une valeur seuil à 12,6. Ceci prouve bien que les paramètres du profil mitral avant l’épreuve de sevrage ne sont pas utiles. En revanche le rapport E/Ea mesuré 10 minutes après le début de l’épreuve de sevrage permettait de prédire l’échec avec une AUC à 0,86, une Se de 75% et une Sp de 95,8% pour une valeur seuil de 14,5. Le E/Ea gardait une bonne performance diagnostique chez les patients en ACFA avec une AUC à 0,92. On remarque également que le E/A augmentait chez les patients en échec de sevrage alors qu’il était inchangé chez les patients avec un succès d’extubation. D’autre part le TDE était également plus court chez les patients avec échec de sevrage. (Moschietto et al, Critical Care 2012).

Dans cette autre étude chez 50 patients de réanimation ventilés depuis plus de 72h et bénéficiant d’une épreuve de sevrage en pièce en T pendant 30 min, la valeur du E/Ea septal ou latéral avant l’épreuve de sevrage était la plus informative. De manière surprenante, la variation du E/Ea au cours de l’épreuve de sevrage ne permettait pas de prédire l’échec de sevrage de manière significative. Ceci peut s’expliquer par le fait que les patients qui font un OAP de sevrage on déjà des indices de PRVG élevés avant le début de l’épreuve de sevrage. On voit également que l’échec de sevrage était plus fréquent chez les patients présentant une dysfonction diastolique de grade 2 ou 3 avant l’épreuve de sevrage par rapport à ceux qui n’en avait pas ou qui avait une dysfonction diastolique de grade 1. A noter que dans cette étude, les patients en ACFA ou avec une pathologie coronarienne ou valvulaire ou avec une FEVG altérée étaient exclus. (Papanikolaou et al. ICM 2011)

De manière également surprenante, la balance liquidienne pendant les 3 jours précédents l’épreuve de sevrage n’était pas discriminative (l’étude n’était pas non plus faite pour ça).
Enfin, cette étude s’est intéressée à la précharge dépendance comme facteur prédictif d’échec de sevrage. Les auteurs ont montré qu’une précharge-indépendance objectivée par une épreuve de lever de jambe passive négative était un bon facteur prédicitif d’échec de sevrage.
3) La variation du BNP
Dernier outil de dépistage de l’OAP de sevrage, le BNP. Les peptides natriurétiques de type B sont des biomarqueurs qui sont sécrétés par les cardiomyocytes en réponse à la surcharge volumique qui étire les parois du muscle cardiaque. Deux types sont dosables en routine : le BNP et le NT-pro-BNP. Ils sont utilisés pour le diagnostic et le suivi de l’insuffisance cardiaque aigüe et chronique. La demi-vie du BNP est de 20min alors que celle du NT-pro-BNP est de 120min. Le BNP est donc plus adapté pour le suivi des variations rapides des conditions de charges, comme nous allons le voir.
Dans cette étude de cohorte sur 100 patients ventilés depuis plus de 48h, les auteurs ont observés les variations du BNP et du NT-pro-BNP au cours d’une épreuve de sevrage en pièce en T d’une durée de 30 à 120min. Pour les patients avec échec de sevrage de cause cardiaque, la variation du BNP avant et à la fin de l’épreuve de sevrage avait une Se de 92% et une Sp 89% de prédire l’échec avec une variation seuil de 48 ng/ml. En revanche la variation du NT-pro-BNP était moins discriminante, lié au fait que la durée de l’épreuve de sevrage n’était pas assez longue pour voir les variations du biomarqueur du fait de sa demi-vie longue. (Zapata et al. ICM 2011)

Dans les échecs de sevrage de cause cardiaque ces marqueurs étaient bien entendu plus élevés que chez les patients avec echec de cause respiratoire, mais ils n’étaient pas suffisamment discrimants.
Par ailleurs dans cette étude, la balance liquidienne était associée à l’échec de sevrage de cause cardiaque.
Les patients avec insuffisance rénale aigüe ou chronique ou dialysés étaient inclus.
Pour finir cet article, il faut insister sur le fait qu’on ne peut s’appuyer sur un seul de ces outils pour dépister l’OAP de sevrage. Comme c’est le cas dans beaucoup de domaine, il faut associer les indices entre eux pour déterminer une tendance et une hypothèse qui oriente fortement vers un risque d’OAP de sevrage. Il faut donc à la fois surveiller la balance liquidienne et rechercher des signes de surcharge, faire une échographie cardiaque avant et pendant l’épreuve de sevrage associée à un dosage de BNP.
Tous ces outils ne sont pas indispensables avant tout épreuve de sevrage, mais ils peuvent être indiqués chez les patients à risques (FEVG altérée, grosse surcharge clinique) ou les patients ayant déjà fait un échec de sevrage afin d’en déterminer la cause. En cas d’éléments en faveur d’un OAP de sevrage, il est donc possible d’anticiper par des diurétiques, des anti-hypertenseurs ou encore bêtabloquant. L’intérêt est de pouvoir le dépister le plus tôt possible dès qu’une épreuve de sevrage est envisageable afin de pouvoir « gagner du temps » et de lancer un traitement déplétif le plus tôt possible.
Take Home Messages
- L’OAP de sevrage est fréquent et représente 30-40% des échecs de sevrage.
- Monitorer le bilan entrée-sortie, le poids et les signes de surcharge avant de décider d’une épreuve de sevrage
- S’aider de l’échographie cardiaque : un E/Ea > 15 avant ou pendant l’épreuve de sevrage est un bon facteur prédictif d’échec surtout s’il est associé à un TDE raccourci et éventuellement à une augmentation du rapport E/A au cours du sevrage
- Le dosage du BNP avant et pendant l’épreuve de sevrage peut être utile, mais il faut veiller à ce que le 2e dosage du BNP survienne au moins après 20min d’épreuve de sevrage, idéalement au bout d’1h (3 demi-vies).