Comment poser un cathéter artériel en toute zénitude : la preuve en 7 points
Pour certains d’entre nous la pose d’un cathéter artériel ne présente plus de secrets. Mais quand ça ne veut pas, bah ça ne veut vraiment pas et même les séniors les plus aguerris se font prendre au piège !
En tant que jeune interne, je passais des heures à essayer de mettre des cathéters artériels. Ma pire expérience était en réanimation ,vers 3h du matin ,sur un patient cirrhotique plein d’œdèmes, après avoir passé 1h30 dessus, ma chef m’a repris la main et y a passé 2 fois plus de temps. La pauvre infirmière était obligée de rester dans la chambre pendant tout ce temps, je la voyais se décomposer d’heure en heure !!
Au fil des années j’ai appris à ne pas m’acharner et à optimiser certaines choses afin de mettre toutes les chances de mon côté.
Alors si vous voulez catapulter votre technique de pose de cathéter artériel dans les hautes sphères de la technicité, voici une petite compilation de mes stratégies pour atteindre le Graal !!
Ça marche comment ?
Le système contient
- Un cathéter
- Une tubulure remplie de Sérum Salé isotonique!! (surtout pas de Ringer Lactate)
- Une chambre avec une tête de pression
- Un robinet 3 voies
La chambre de la tête de pression comprend 2 orifices : l’un relié au cathéter qui reçoit le signal et l’autre permettant d’établir le « zéro de référence » en exposant la chambre à la pression atmosphérique.
A chaque pulsation cardiaque, le mouvement de la colonne sanguine est transmis à la colonne de liquide, qui est en contact avec un diaphragme relié à un transducteur électromécanique : le mouvement est donc transformé en signal électrique
Faut prendre quoi comme matos ?
Le matériel va dépendre du site de ponction.
Pour un cathéter fémoral ou axillaire : taille de 18G, longueur 15-20cm
Pour un cathéter radial et autres artères : taille de 20G, longueur 4-8cm
- 4cm : à privilégier pour les petites artères très fines, afin qu’elles ne se déchirent pas. L’inconvénient c’est que le signal est souvent plus positionnel…
- 6-8cm : Pour les gabarits plus importants, les jeunes ou quand on veut avoir un monitorage fiable
Avec ça il faut tout le matériel pour champer, désinfecter etc… (Je ne vous fais pas la liste)
Il faut prendre une poche de sérum salé isotonique 500-1000mL. J’insiste bien sur le fait que la poche doit être du sérum salé isotonique, surtout pas de ringer lactate (hypotonique etc….).
Il n’existe pas d’arguments formels pour hépariniser les tubulures, mais certaines équipes mettent 2500 UI d’Héparine dans 500mL, certaines études montrant que ça pourrait augmenter la durée de vie du cathéter. Cependant ça veut dire qu’on héparinise un patient à chaque flush (avec risque de TIH etc…)
Personnellement je ne le fais pas, j’ai appris sans. En réanimation ça peut avoir un intérêt d’hépariniser mais au bloc opératoire, ou parfois on le laisse que le temps de l’intervention ça n’a pas d’intérêt.
PS : je ne parle pas ici des modules PICCO, Vigileo et autres…
Je parlerai ici de la pose d’un cathéter artériel radial. Le site fémoral pose en général beaucoup moins de problèmes. (pour le site axillaire je n’ai pas suffisamment d’expérience pour en parler)
Comment on s’y prend ?
1) Test d’Allen
Il est classiquement recommandé de le faire avant chaque ponction, afin d’éviter une ischémie de main lors d’un choc prolongé, d’utilisation de doses importantes de noradrénaline ou de thrombose, si par hasard l’arcade palmaire serait incomplète du fait d’une perfusion inexistante ou trop faible de la part de l’artère ulnaire.
En fait ce test n’est pas toujours très fiable, mais s’il montre une anomalie de perfusion c’est qu’il faut probablement changer de côté.
Chez le patient conscient il se réalise en appuyant simultanément sur l’artère radiale et cubitale en demandant au patient d’ouvrir et de fermer le poing pour chasser le sang. Lorsque la main du patient est toute blanche, on lui demande d’ouvrir la main et on relâche la pression, uniquement sur l’artère ulnaire. Si la main du patient se recolore en moins de 5-7 secondes le test est normal. Si au contraire elle met plus de 15 seconde à se recolorer entièrement alors on peut dire que l’arcade palmaire n’est probablement pas perméable, il va falloir essayer sur l’autre main
Chez le patient inconscient, on utilise le capteur de Sp02 : on fait la même séquence que ci-dessus, en comprimant les 2 artères, le signal de la Sp02 va s’aplatir. Si on relâche la pression et que le signal réapparait de manière franche, le test est normal. Si par contre il reste plat, il y a une anomalie.
On a tendance à l’oublier, dans le feu de l’action, mais ce test peut parfois nous sauver la main du patient quand il sera sous haute dose de noradrénaline !
2) Position de la main
Alors ici encore un grand débat :
- Soit on met la main en hyperextension avec un petit pochon de sérum salé 50ml sous le poignet, afin de se dégager la face antérieure du poignet pour être plus à l’aise.
- Soit on met la main du patient en extension mais sans forcer.
L’inconvénient de la première solution est que les cathéters sont plus souvent positionnels. En effet on pose le cathéter sur un poignet en hyperextension et on le fixe ainsi. C’est qu’après quand le patient sera dans son lit de réanimation avec la main libre qu’on va perdre le signal, car le cathéter va se couder. C’est pourquoi certains préfèrent mettre la main du patient en position naturelle et de piquer comme ça. Le problème c’est que parfois, pour les très grosses mains, l’éminence thénar du patient va nous gêner pour adopter un bon angle pour piquer. On aura donc tendance à la mettre en hyperextension.
Moi je fais un mix des deux, je tente le plus possible de respecter la position naturelle, quand je pense que je vais galérer je la mets plus en hyperextension.
Autre remarque, comment fixer la main du patient ? Le bon vieux système D = un gros bout de sparadrap qui traverse la base des doigts de la main et qui se fixe de chaque côté, soit sur le lit, soit sur la table (ou même parfois sur la cuisse du patient quand on ne peut pas faire autrement). Sinon il y a la technique d’enrouler un bout de sparadrap autour du pouce du patient et de le fixer à la table….mais bon le pouce deviens tout bleu, ça me plait pas.
Penser aussi toujours au confort du patient : une gélose sous le poignet et sous le coude !!
Aussi, si vous êtes un gros degueulasse comme moi et que vous en mettez partout, pensez à mettre un champ absorbant sous la main du patient avant de vous installer. Les ASH vous remercieront !!
3) Votre position
Mine de rien, ça ne va pas toujours de soi. C’est comme le piano, pour être efficace dans ses gestes il faut être bien assis. Ce n’est pas en étant debout, plié en 3, avec le coude en l’air pendant 1h que vous allez y arriver.
Alors il faut prendre le temps de prendre un tabouret, de mettre le lit du patient à la bonne hauteur pour ne pas se fatiguer.A vous de tester la position qui vous conviens le mieux.
Par ailleurs, il faut être à l’aise avec les 2 mains. La première fois qu’on m’a dit ça, j’ai rigolé, je pensais que c’était une blague. Mais c’est vrai, essayez de poser un cathéter sur la main gauche d’un patient quand on est droitier ou on est obligé de mettre le bras du patient en abduction à 90°. Quand ce n’est pas logistiquement possible…faut faire avec la main gauche !
4) Ou piquer ?
Bah dans l’artère c…… !! Oui mais pas n’importe comment. Souvent on a tendance à piquer très près du pli de flexion du poignet. Et ça, c’est la meilleure façon d’avoir un cathéter positionnel !!
Même en y faisant attention, on est souvent trop près, donc ne pas hésiter à s’éloigner. Surtout que là où vous aller sentir le pouls ce n’est pas là ou vous aller piquer. Vous allez piquer quelques centimètres avant. Donc il faut éviter de se faire avoir.
Par ailleurs, si le patient est conscient, évitez de mettre des tonnes de Xylo, vous ne sentirez plus l’artère. Le mieux c’est de faire une « traçante » avec une aiguille à sous-cut : on pique perpendiculairement au trajet de l’artère, là où on pense introduire l’aiguille. Ça évite d’avoir un œuf de pigeon. Ou sinon mettre un patch EMLA si vous avez le temps devant vous.
Maintenant on peut aussi utiliser l’échographie pour repérer l’artère et guider sa ponction.
5) Comment piquer ?
Surtout prenez votre temps ! Ça sert à rien d’enfoncer l’aiguille jusqu’à la garde en une fois en espérant chopper l’artère. Vous serez passé à côté ou vous l’aurez certainement transfixié, et ça ce n’est pas bon du tout = gros hématome, vous ne la retrouverez plus # j’abandonne # achevez moi # Troll Fuuuuuuuc.. !!!
En général on pique une fois, mais pas deux. Apres un échec, l’artère radial à tendance à se spasmer et on ne la retrouve plus.
Donc le principe c’est de piquer à 30-45°, en enfonçant tout doucement l’aiguille jusqu’à avoir un beau jet bien rouge et une grosse tache au plafond (ou sur l’IBODE / Externe /qui vous voulez si vous visez bien !)
C’est important d’avoir un bon reflux, parfois on en a un, mais qui est tout mou. Surtout ne pas mette le guide, car vous risqueriez de disséquer l’artère. En effet si le reflux n’est pas assez franc c’est que vous devez être dans l’intima/ la paroi de l’artère et pas complètement dedans. Si vous mettez le guide puis le cathéter vous serez obligé de forcer, si vous y arrivez quand même vous n’aurez aucun reflux et ça sera finit de votre cathéter !
Ensuite il va falloir introduire le guide dans le cathéter. Auparavant vous aurez fait attention à orienter le guide dans le bon sens! Et oui, il y a un bout dur (pas bon pour l’artère si on rentre avec ^^) et un bout mousse. Donc avec le doigt il faut sentir quel est le bout dur ou le bout mousse (…ca part en vrille ma phrase…) Moi je le pose sur le champ d’emblée dans le bon sens avec une compresse mouillée pour le maintenir en place.
Pour rentrer le guide dans le cathéter, il ne faut pas forcer, faut que ça rentre comme dans du beurre, sinon ça veut dire que vous n’êtes pas au bon endroit. Chez les patients artéritiques, l’insertion peut être difficile et on peut entendre le guide faire des sortes de crissement. Pour se faciliter la tâche il faut jouer avec l’angle d’incidence de l’aiguille et du guide, il faut essayer de l’aplatir le plus possible pour que l’aiguille et le guide soit quasiment parallèle à l’avant bras du patient. L’autre astuce consiste à faire tourner l’aiguille sur elle-même dans les 2 sens ce qui permet d’orienter le biseau. Parfois on tape sur la paroi, en orientant différemment l’aiguille, le guide rentre mieux.
6) Comment fixer
Avant de procéder à la fixation, il faut s’assurer que le guide n’est pas trop enfoncé ou, mieux, il faut plier l’extrémité du guide pour éviter qu’il ne rentre dans la lumière du cathéter. Ça ne m’ai jamais arrivé, mais j’ai eu parfois des petites frayeurs…et après vous avez l’air bien intelligent avec votre guide dans l’artère radiale !!
En général les cathéters sont dotés de 2 petits trous de chaque côté. Cependant le plus important c’est de faire un nœud AUTOUR du cathéter. Si vous regardez bien, certains cathéters ont une espèce de gouttière au niveau de l’insertion du cathéter = ça sert à mettre le fil pour fixer le cathéter au niveau de son point d’insertion. Ça sécurise beaucoup mieux le cathéter que les 2 orifices sur le côté. Si le patient bouge beaucoup la main, un cathéter artériel peut parfois sortir entièrement s’il n’est fixé que par ces 2 orifices-là
Sinon pour les cathéters qu’on prévoit de ne pas garder très longtemps (peropératoire) on peut uniquement mettre des strips autour des ailettes et sur le point d’insertion du cathéter. Avec un opsite par-dessus, ça va suffire à le maintenir en place de manière sécuritaire pendant l’intervention. Ça évite d’avoir à prendre une grosse aiguille pour faire les nœuds (c’est souvent ce qui est le plus douloureux, plus que l’insertion du cathéter)
7) Comment connecter le système
Vous avez réussi votre ponction, vous êtes super heureux et soulagé. Mais ce n’est pas fini, viens le moment de la connexion du cathéter au système de purge.
Avant de connecter le système, il faut vérifier qu’il n’y a pas de bulles dans la colonne de liquide. Donc vous demander à ce qu’on vous purge la ligne, qui est encore une occasion d’arroser l’IBODE/l’externe/le chirurgien ou vos collègues et de lancer un joyeux combat de flotte au milieu du bloc !
Le moment sensible c’est quand il faut à la fois enlever le guide ET visser le système sur le cathéter : alors là c’est la boucherie , il y a du sang partout, sur vos chaussures et votre entrejambe si vous êtes assis, il y a de l’eau sous la table ( à moins que vous ayez déjà arrosé la moitié du bloc, voir ci-dessus) et le pire c’est que vous n’arrivez même pas à bien visser ce foutu machin qui fuit encore…eh oui il n’y a pas eu le « Clic » de fermeture. Alors pensez bien à tapisser votre environnement de compresses pour éviter que la salle ne ressemble déjà à un champ de bataille !
Les Points Clés
- Utiliser la plus grande taille possible (radial = 6-8cm)
- Faire le Test d’Allen
- Mettre la main du patient le plus possible en position naturelle
- Installez-vous confortablement, c’est primordial !
- Piquez le plus loin possible du pli de flexion du poignet
- Servez vous de l’échographe!
- Pliez l’extrémité du guide une fois inséré
- Fixez en priorité l’extrémité du cathéter au niveau du point d’insertion
- Alternative à la couture = mettre des Stéristrips
- Penser à bien purger le système avant connexion
- Protégez-vous avec des compresses !!
Dans la suite de cet article, j’expliquerai comment bien interpréter la courbe de pression artérielle et les pièges à éviter.
Bravo et merci!!